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Encore un hôtel qui ferme, combien suivront ?


Le soleil se couche sur l'hôtel Hawaiki Nui de Raiatea.
Le soleil se couche sur l'hôtel Hawaiki Nui de Raiatea.
PAPEETE, le 23 mars 2015. Le plus grand hôtel de Raiatea, le Hawaiki Nui, fermera ses portes le 29 mars. Ce monument de l'Île sacrée est un symptôme de la mauvaise santé de nos hôtels, que l'augmentation du nombre de touristes n'arrive pas à enrayer.

À la fin du mois de mars, c'est toute une page de l'histoire touristique de la Polynésie qui se tourne avec la fermeture de l'hôtel Hawaiki Nui de Raiatea. Ouvert en 1966 sous le nom "Bali Hai", c'est cet établissement de 28 chambres qui aurait construit les premiers bungalows sur l'eau au monde. Rapidement copié par d'autres hôtels du fenua, ce concept a participé à la renommée de la destination polynésienne autant que nos lagons turquoises, la légende de la vahine et le 'ori Tahiti.

Avec cette disparition, c'est une vingtaine d'emplois qui sont perdus, et c'est surtout le haut lieu de l'animation de Raiatea qui s'en va. Un espace de rencontres, le rendez-vous spectacle du vendredi soir, une salle de concerts, l'endroit où les soirées de l'île étaient organisées (les dernières en date : "Saint-Valentin" et "Ange ou Démon")…

Christophe Faure, co-président du Conseil des professionnels de l’hôtellerie (CPH) qui rassemble les grands hôtels, rappelle que "contrairement aux idées reçues," les hôtels polynésiens se portent toujours aussi mal et que "si rien n'est fait pour augmenter la fréquentation hôtelière, dans les années à venir la descente aux enfers peut continuer et nous pourrions encore perdre jusqu'à un hôtel par an. Il reste 37 hôtels classés en Polynésie."

Selon lui, ce sera aux politiques de prendre des décisions "courageuses" pour sortir du marasme. Il note également qu'alors que ce "monument historique" de Raiatea est en train de fermer, le ministre du Tourisme Jean-Christophe Bouissou est à Miami à un salon de croisiéristes…

Les bons chiffres de l'ISPF contestés par les professionnels

Pourtant à en croire les chiffres publiés chaque mois sur l'état du tourisme polynésien, la situation s'améliore chaque année depuis 2011. Mais les publications de l'Institut de la statistique hérissent le CPH. Les indicateurs utilisés sont en progression régulière : nombre de touristes, remplissage des hôtels, revenu moyen par chambre, et même le nombre de nuitées "hôtelières et établissements assimilés" vendues. Les nuits vendues par les établissements hôteliers comptabilisés seraient ainsi passées de 1,75 million en 2013 à 2,07 millions en 2014 selon l'Institut.

Mais les hôteliers précisent que dans le monde entier, le professionnels ne comptent pas en nuitées (car une chambre occupée par deux personnes compte deux nuitées), mais en chambres vendues. Et à cet égard, le nombre de chambres vendues n'a effectivement que peu progressé.

De plus, pour Christophe Faure, l'augmentation du taux de remplissage des hôtels n'est due qu'aux nombreuses fermetures d'établissements. "Seul le tourisme de croisière profite de l'augmentation du nombre de touristes, les établissements hôteliers internationaux n'ont eu que 0,5% de chambres vendues de plus en 2014 par rapport à l'année précédente. Si l'on va plus loin, nous avons fermé 10 hôtels en 10 ans, ce qui fait 910 chambres perdues et plus de 1000 emplois directs."

Les raisons seraient multiples : "Là c'est Raiatea, le précédent c'était à Manihi. Ce sont des îles où les touristes vont quand il n'y a plus de place à Bora Bora, qui cannibalise beaucoup le tourisme. Après, il suffit de regarder les charges les plus élevées pour les hôtels : ce sont le coût du travail et l'énergie, et là pas de chance, dans les deux nous sommes parmi les plus chers au monde !"

Selon le co-président du Conseil des professionnels de l’hôtellerie, "il y a moins de cinq hôtels qui gagnent de l'argent en Polynésie. Même certains grands hôtels de Bora Bora en perdent, car ils ont de gros investissements et des frais à amortir. Quand on me demande quels hôtels sont à vendre en Polynésie, je réponds : 'ils sont tous à vendre'. Tout ce qu'il manque, ce sont des repreneurs prêts à offrir un prix acceptable."

La réponse de Bouissou

Le ministère de la Relance économique et du Tourisme a publié vendredi un communiqué de presse qui ne cite pas explicitement les déclarations du président du CPH, mais y répond très clairement.

Ainsi le courrier rappelle que "la Polynésie française a comptabilisé 180 600 touristes en 2014, soit une progression de 9,8% par rapport en 2013." Surtout, si les croisiéristes (+11 637) ont eu le gros de ces nouveaux contingents, "les structures d’hébergement payant ont également bénéficié de cette croissance, avec 4 520 clients supplémentaires (+4%)."

Les équipes du ministre rappellent aussi que "la durée moyenne du séjour en hébergement payant a progressé" tout comme "le nombre de nuitées vendues (qui) a atteint l’an dernier un niveau équivalent à celui de 2007, en progression de 12,1% par rapport à l’année précédente." Enfin, elles soulignent que le revenu généré par les chambres a augmenté, tout comme le remplissage des hôtels.

Le coût du travail en Polynésie face à ses concurrents

Christophe Faure, qui est aussi directeur financier du groupe Accor dans la région, parle de la problématique de rapport qualité-prix en Polynésie, et tord le cou à une idée reçue : "notre mauvais rapport qualité-prix n'est pas dû à un mauvais personnel polynésien, au contraire il est plutôt bon. Le problème, c'est que chez nos concurrents ils sont trois fois plus nombreux pour faire le même travail !" Il cite plusieurs chiffres en exemple :

- Polynésie : 1,2 employé par chambre ; la masse salariale représente 35 à 48% du chiffre d'affaires des hôtels

- Fidji : 2 employés par chambre ; la masse salariale représente 25% du chiffre d'affaires des hôtels

- Asie : 3 à 4 employés par chambre ; la masse salariale représente 13 à 22% du chiffre d'affaires des hôtels


Plusieurs négociations en cours pour réduire le coût du travail

Le CPH analyse les problèmes de l'hôtellerie polynésienne comme avant tout un problème de coût du travail, et des négociations sont déjà en cours pour essayer de le réduire. Avec le ministère du Travail (les partenaires sociaux seront consultés plus tard), les hôtels parlent ainsi de l'annualisation du temps de travail, du travail le dimanche et de la forfaitisation du temps de travail des cadres.

Les charges sur les avantages en nature sont aussi dans le collimateur des hôteliers : "Dans l’hôtellerie, nous nourrissons nos employés, et la réglementation veut que nous payions des charges sur ces repas, comme s’ils représentaient une heure de SMIG, donc 900 francs. Mais à coût réel, ce serait plutôt 300 à 320 Fcfp."

Les propositions des hôteliers pour le Plan Stratégique de Jean-Christophe Bouissou

Pour élaborer un plan d'action stratégique, le cabinet de consultants calédonien Kahn & Associés utilise la littérature déjà produite et consulte largement les acteurs du secteur. Les professionnels de l'hôtellerie avaient bien sûr des propositions :

- Changer le mode de collecte de la RPT (Redevance de Promotion Touristique) qui repose pour l'instant uniquement sur les hôteliers (avec une taxe de 5% sur les chambres vendues). Elle alimente le budget du GIE TT pour environ 800 millions Fcfp par an.

- Mettre en place un SMIG hôtelier, qui pourrait être compensé pour les salariés par un "service charge amélioré par les économies réalisées sur la RPT, ou pourquoi pas par la généralisation d’un système de pourboires comme dans certains pays anglo-saxons, voire par d’autres mécanismes à l’étude."


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 23 Mars 2015 à 04:58 | Lu 7438 fois