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Dons d’organes : une campagne de sensibilisation pour convaincre


Leila Kocik, juriste de la direction de la santé ; docteur Ouarda Krid (réanimation) ; Hina Burns, infirmière et le docteur Pascale Testevuide (néphrologie) : quelques unes des chevilles ouvrières  qui ont permis la pratique de ces greffes rénales en Polynésie.
Leila Kocik, juriste de la direction de la santé ; docteur Ouarda Krid (réanimation) ; Hina Burns, infirmière et le docteur Pascale Testevuide (néphrologie) : quelques unes des chevilles ouvrières qui ont permis la pratique de ces greffes rénales en Polynésie.
PIRAE, mardi 19 novembre 2013. Le Centre hospitalier de Polynésie française (CHPF) organisait, ce mardi, la première journée d’information et de formation destinée aux relais de diffusion pour la campagne de sensibilisation et de communication sur le don d’organes. Une journée qui coïncide avec le lancement d’une campagne d’information grand public relayée uniquement sur les télévisions et radios locales et qui se poursuivra jusqu’au 30 novembre pour promouvoir le don d’organes, notamment provenant de donneurs décédés. Car après avoir pratiqué des transplantations de reins à partir de donneurs vivants en octobre dernier, le CHPF sera en mesure à partir de janvier 2014, de procéder au prélèvement de reins sur une personne en état mort encéphalique et de transplanter ces organes sur des patients souffrant d’insuffisance rénale sévère, jusque-là traités uniquement par la dialyse, pour peu que ces donneurs décédés à la suite d’un accident aient indiqué, de leur vivant, vouloir donner leurs organes ou que la famille ne s’y oppose pas. Selon des estimations fournies par les médecins du CHPF, une quinzaine de greffes de reins par an pourrait alors être pratiquée en Polynésie française : dix à partir de reins provenant de donneurs décédés et cinq par le biais de don effectué par une personne vivante à un proche.

Après les deux premières greffes rénales réalisées il y a quelques semaines au CHPF (au début du mois d’octobre dernier) à partir de donneurs vivants, c’est donc une nouvelle étape qui se profile en Polynésie française. L’enjeu médical est très important. Il y a en Polynésie deux fois plus de malades souffrant d’insuffisances rénales (pour 1 000 habitants) qu’en France. Conséquence : les services de dialyse du territoire sont débordés. Le nombre de patients accueillis en dialyse a augmenté de 7% par an entre 2008 et 2010 et pourrait atteindre les 500 personnes à l’horizon 2020. Or, sur les 400 personnes actuellement dialysées sur le territoire, au moins 120 d’entre elles pourraient potentiellement être greffées ; 58 personnes étant déjà sur liste d’attente. Dès le début des années 2000 une réflexion a ainsi été engagée sur la possibilité de mener en Polynésie ces greffes rénales (plutôt que d’aller jusqu’en métropole) qui permettent non seulement d’améliorer considérablement la vie des malades, mais aussi de baisser de façon conséquente le coût de traitement des insuffisants rénaux.

En effet, on estime que le coût moyen d’un malade dialysé est de 10 millions de Fcfp/an, quand une greffe rénale est au même prix et ne nécessite plus que 2,4 millions de Fcfp/an de dépenses médicales, dès la deuxième année après la greffe. Après des années d’hésitation et de réflexion, finalement cet enjeu de santé publique a été bien assimilé au point qu’au cours des années 2012 à 2013, tout a été entrepris pour que le cadre réglementaire de la Polynésie soit prêt pour rendre possible ces dons d’organes, ces prélèvements et transplantations. Cela s’est traduit par la délibération de l’Assemblée de Polynésie française du 5 juillet 2013 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain ; puis par la publication le 7 août 2013 de six arrêtés d’application adoptés en conseil des ministres pour encadrer et préciser le prélèvement d’organes, l’activité de greffe, les règles de sécurité sanitaire, les conditions de dérogation d’utilisation des greffons, etc.

Mais la réglementation polynésienne établie, et les deux premières expériences réussies de transplantation de rein à partir de donneurs vivants ne suffiront pas à passer à l’étape supérieure, à savoir convaincre la population de passer au prélèvement d’organes -pour l’instant de reins uniquement- sur des donneurs morts, d’où la campagne de communication qui a démarré ce mardi. «Il faut aller au-delà des préjugés. Les Polynésiens sont par nature généreux et sensibles à la douleur des autres. Tout sera fait pour que cette campagne de sensibilisation trouve un écho favorable au sein de la population» déclarait Béatrice Chansin, la ministre de la santé ce mardi matin. Elle annonçait également qu’une association pour promouvoir le don d’organes est en préparation et prendra, par la suite, le relais de l’information. En mars 2014, de nouvelles greffes de reins à partir de donneurs vivants sont déjà programmées au sein du Centre hospitalier du Taaone : le professeur Méjean de Paris sera présent spécialement à Tahiti pour ces interventions. Mais entre temps peut-être une (ou plusieurs) greffe à partir de donneurs décédés aura pu être pratiquée en Polynésie française. Un nouveau cap à franchir.



Donner c’est aimer

«Donner, c’est aimer», c’est le slogan choisi pour cette campagne de communication en faveur du don d’organes en Polynésie française. Les personnes qui souhaitent manifester précisément leur volonté de donner leurs organes après leur mort, ont la possibilité de remplir une carte de donneurs pour que cette volonté, exprimée de son vivant, puisse être respectée après son décès par sa famille. Selon la loi, il y a «consentement présumé» pour que les organes viables d’une personne décédée puissent être utilisés pour être transplantés. En clair, selon la loi, à moins d’avoir indiqué très précisément qu’il y a refus de don, tout prélèvement d’organes peut être réalisé. Dans les faits toutefois, prélever des organes sur une personne décédée sans le consentement de la famille, serait inenvisageable d’un point de vue moral.

Dans tous les cas : volonté ou refus d’être donneur de ses organes, le plus simple est d’exprimer son choix, de son vivant. Ceux qui sont pour le don d’organes pourront donc remplir une carte de donneur (à conserver sur soi) : cela permettra notamment à une famille qui pourrait être réticente de finalement laisser s’accomplir la volonté du défunt. Pour ceux qui sont contre le don d’organes, une inscription au registre national des refus est nécessaire (en joignant une copie de sa carte d’identité).

Tous les renseignements peuvent être obtenus auprès de la Coordination hospitalière du CHPF en charge du don d’organes joignable au 48 63 63 ou par mail à : [email protected]

Discours de Béatrice CHANSIN, Ministre de la Santé

Mardi 19 novembre 2013, Amphithéâtre du CHPF pour le lancement de la campagne sur le don d’organe


Madame, Monsieur,
Voilà déjà plusieurs semaines que nous avons activé le dispositif du don d’organe, et les premières greffes ont pu être effectuées ici même, il y a quelques jours, avec succès. Chacun mesure le progrès que représente la possibilité de réaliser désormais en Polynésie française ce type d’opération qui nécessitait jusqu'à présent des evasans lourdes et couteuses, souvent difficiles à vivre pour le patient coupé de sa famille, sans parler de l’attente interminable d’un donneur compatible.
Le projet n’est pas récent puisqu’il remonte à l’an 2000, lorsque le CHPF intègre dans son projet médical comme axe stratégique majeur la mise en place d’une activité de greffe rénale en Polynésie française. Ce projet aura mis 13 ans pour se concrétiser. Nous y sommes. C’est désormais chose faite.
L’absence de greffe rénale sur place faisait perdre chaque jour des chances importantes d’amélioration de la qualité de vie de nos patients dialysés. Aujourd’hui, notre pays compte 400 cas de patients en insuffisance rénale dont 350 sont dialysés. C’est donc un espoir considérable qui s’ouvre désormais pour eux, c’est aussi un défi nouveau pour le monde médical.
Je sais que vous avez été nombreuses et nombreux, dont certains sont ici présents, à œuvrer pour que la greffe rénale, et son corolaire, le don d’organe, puissent enfin voir le jour chez nous. Je voudrais ici vous remercier une nouvelle fois et vous dire toute notre fierté, toute notre reconnaissance. Ce fut un long et patient travail, comme vous le savez, car il a d’abord fallu mettre en oeuvre tout le cadre législatif qui accompagne cette pratique et en particulier étendre les dispositions de la loi sur la bioéthique.
Il fallait tout à la fois pouvoir opérer sur place et naturellement avoir des donneurs. Désormais on peut considérer que l’aspect médical de la greffe est convenablement organisé. Il n’en est pas encore tout à fait de même pour le don d’organe. C’est la raison de notre rencontre, c’est l’objet de la campagne que nous nous apprêtons à lancer auprès du grand public : « Donner c’est aimer, on ne me prend pas un rein, je le donne». Tout est dit.
La greffe rénale n’est possible que si nous avons des donneurs. Et là nous sommes confrontés à une réelle incertitude. Le don d’organe n’est pas une chose aisée, il est même encore largement tabu. Donner une partie de soi, de son vivant est un acte grave qui demande réflexion et maturité. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ?
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, donner un organe est un acte d’amour, de sorte que pour l’instant, les dons volontaires se font pour l’essentiel entre conjoints ou membres d’une même famille, ce qui peut se comprendre et semble beaucoup plus naturel.
« Donner c’est aimer, donner c’est aider », dit l’un de nos slogans de la nouvelle campagne. Mieux qu’aucun autre, il résume la philosophie du don d’organe et toute la charge émotionnelle qui l’accompagne. Il nous faut donc préparer la population à un tel acte, et lui expliquer, qui peut donner, comment donner, quelles démarches doivent être entreprises, qu’est-ce que cela implique pour moi et pour celui qui recevra mon organe ? Bref, il faut en parler, il faut expliquer, il faut rassurer.
Je suis convaincue, comme vous tous ici présents, que seule l’information peut faire évoluer les esprits, vaincre l’appréhension, dépasser les peurs, et faire du don un acte extraordinaire de générosité et de vie, puisqu’il n’y a pas plus beau cadeau que de donner un bout de soi pour prolonger la vie et la santé d’un autre, à fortiori, lorsque le bénéficiaire est un inconnu.
Comme souvent dans ce genre de situation, chacun à tendance à penser qu’il n’est pas concerné. Il me semble essentiel de rappeler que ça n’arrive pas qu’aux autres, que chacun de nous, un jour, peut être confronté brutalement à cette situation, et si ce n’est directement nous-même, peut-être un proche, un être cher.
Il nous est difficile d’imaginer, lorsque tout va bien, que notre propre vie peut dépendre du don d’un autre. C’est précisément parce que nous ne pouvons pas nous contenter des dons volontaires des personnes en bonne santé, que nous devons insister sur les prélèvements des organes sur les personnes décédées, sur les morts encéphaliques.
Il faut donc sensibiliser chacun sur cette situation, afin que chacun puisse prendre conscience qu’à sa mort il peut encore sauver des vies ! D’une certaine manière n’est-ce pas continuer à vivre ? Chacun doit donc pouvoir dire, et faire savoir autour de lui, ce qu’il entend faire de ses organes au moment de sa mort. Il doit exprimer sa volonté clairement, à ses proches, et pour cela, il doit être en possession de toutes les informations, de la manière la plus transparente et la plus claire possible.
La campagne qui va démarrer va se faire sur tous les supports, la télévision, la radio, le web, et la distribution de brochures et de flyers. Elle se prolongera de fait au sein des familles et sur le lieu du travail, par le bouche-à-oreille. « Le don d’organe, parlons-en », pourrait être notre second slogan. Il convient donc de s’attaquer autant que possible aux préjugés, aux fausses informations, aux clichés en tout genre que peut véhiculer le don d’organe.
Si nous voulons obtenir l’adhésion de la population, il nous faudra être patients et pédagogiques. Cette campagne est la première du genre. Nous devrons donc en tirer les leçons et faire son évaluation avant la prochaine série de greffes prévue l’année prochaine. Le cas échéant, il ne faudra pas hésiter à corriger notre communication pour qu’elle soit mieux adaptée.
Mais n’anticipons pas trop non plus. Lançons déjà cette première campagne qui me semble bien construite, et nous verrons bien comment elle sera perçue par le public. D’autres actions pourront être mises en oeuvre, notamment lors de La journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe et de reconnaissance aux donneurs, prévue le 22 juin 2014.
Une association pour le don d’organe est également en préparation. Le moment venu, elle pourra prendre le relais et conduire sur le terrain, au contact des patients et des donneurs, des actions de sensibilisation et d’information.
Je reste donc très positive quant aux résultats. Progressons pas à pas, lentement mais surement. Les Polynésiens sont par nature généreux. Ils sont aussi sensibles à la souffrance des autres. Nous avons donc toutes les raisons de penser que cette campagne de sensibilisation au don d’organe recevra un accueil favorable.
Je vous remercie.


Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 19 Novembre 2013 à 13:13 | Lu 2663 fois