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Disparition de John Martin : John Doom parle d’un « frère »

« Au revoir mon ami, mon frère ! »


John Martin, John Doom, Maco Tevane, Ame Huri
John Martin, John Doom, Maco Tevane, Ame Huri
John Martin, l’un des deux derniers « aito » du bataillon du pacifique, vient de décéder à l’âge de 91 ans. Décoré de la croix de guerre avec étoile d'argent pour s’être illustré sur les champs de bataille, il a toujours su garder son humilité, même lorsqu’il fut nommé interprète auprès du général De Gaulle lors des deux visites officielles de ce dernier en Polynésie. C’était en 1956, puis dix ans plus tard, en tant que chef de l’état. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, John Martin devient le premier journaliste en langue tahitienne. Il sera également l’un des membres fondateurs de l’académie tahitienne, avec Maco Tevane mais aussi John Doom, l’actuel directeur de cet institut. Nous avons rencontré ce dernier qui nous parle de lui comme d’un frère…



Ensemble pour défendre la langue Tahitienne

John DOOM se souvient d’un John MARTIN, ardent défenseur du reo Tahiti.
John DOOM se souvient d’un John MARTIN, ardent défenseur du reo Tahiti.
John parle de John. Le premier est l’actuel directeur de l’académie tahitienne le « fare vāna’a », John Doom. Le second est John Martin, l’un des derniers « aito » du bataillon du Pacifique décédé le 31 décembre 2012 dans la soirée.
Dans les années 70, tous deux se joignent à d’autres fins linguistes, pour fonder ce qu’ils considèreront bientôt comme une institution : l’académie tahitienne. Maco TEVANE, autre illustre érudit du reo Tahiti, suit le mouvement. Il naîtra de cette rencontre une véritable reconnaissance de la langue.
Assis dans son bureau de l’académie, véritable petit musée où livres et affiches d’époque se côtoient à quelques mètres seulement de la nouvelle version du dictionnaire tahitien-français, John Doom se souvient d’un John Martin ardent défenseur du réo. Dans leur lutte du rétablissement des langues polynésiennes, ils étaient comme « des frères d’armes » dans une autre guerre que celle qu’à connu l’ancien combattant qu’était John Martin, plus pacifique celle-là.


Interview de John Doom (traduit à partir d’une interview en langue tahitienne)

Disparition de John Martin : John Doom parle d’un « frère »
Tahiti-Infos : John DOOM, on peut dire que vous étiez comme des frères ?
John DOOM : Oui, ensemble nous avons œuvré pour la propagation de la langue tahitienne et ce, depuis les années 50-57. John MARTIN travaillait alors à radio Tahiti. Etant tous les deux de la même confession religieuse (ndlr : protestant), on se connaissait déjà. Puis, un jour, il m’a demandé de le rejoindre afin de pouvoir le remplacer lorsqu’il devait s’absenter. C’est comme cela que l’on est devenu très proche au fil des années.

Tahiti-Infos : qu’avait-il de spécial ?
John DOOM : Eh bien, il avait une manière très particulière de saluer les auditeurs. Il élevait la voix en s’adressant du matelot aux lépreux de ‘Orofara (à Papeno’o), en passant par les malades des hôpitaux, tous avaient droit à un petit « ‘Ia ora na ».

Tahiti-Infos : Comment donc est née l’académie tahitienne ?
John DOOM : John MARTIN maîtrisait déjà très bien notre langue, mais il désirait plus. Il voulait une totale réhabilitation et une mise à jour du réo Tahiti. A cette époque-là, il n’y avait pas encore d’académie. Au fil des ans, de nouveaux mots apparaissaient, ainsi que de nouvelles expressions. Il fallait donc réagir et vite. Lorsque les premiers avions à réaction ont atterri à Tahiti, il n’y avait pas de mots dans le lexique tahitien pour désigner un tel engin. John MARTIN a donc tenté d’imager l’avion en traduisant par : «oiseau-cracheur de fumée ». Personne n’y avait pensé et il l’a fait. Il l’a créé. Plus tard, en 1962, lorsque le CEP s’est installé, un autre engin faisait son apparition, l’hélicoptère. Là encore, le polynésien n’en n’avait jamais vu, ni entendu parler. A l’époque, certains voulaient en faciliter la traduction en « tahitiannisant » le nom, ce qui aurait donné : « é-ri-topeta ». Pour ma part, j’ai refusé d’employer cette expression et aussi John MARTIN et moi avons proposé le terme suivant : « avion-suspendu de haut en bas-dans le ciel ». Cette nouvelle expression est restée depuis dans le patrimoine lexical tahitien. C’est de toutes ces lacunes qu’est née l’académie tahitienne. C’était en 1974. Et aujourd’hui, nous avons évolué avec notre époque. Le travail fourni, sous l’instigation de John MARTIN depuis tout ce temps est considérable. Les journalistes nous appellent aujourd’hui et nous en sommes fiers. Oui, John MARTIN est un des grands piliers de cet institut reconnu par la nation.

Tahiti-Infos : Etiez-vous toujours d’accord sur la traduction des mots ?
John DOOM : (rire) Ah ! On n’était pas toujours d’accord sur tout. Je me souviens de la traduction du mot : « Pacifique ». Il voulait absolument traduire par : « Pa-ti-fi-ta ». De mon côté, je n’étais pas d’accord car la population employait déjà l’expression : « Pa-ti-ti-fa ». Il en a été de même pour le terme « ‘Ia ora na » (bonjour). Selon lui, cela venait de l’expression britannique « your honour ». Mais il avait tort car « ‘Ia ora na » était déjà utilisé par les anciens polynésiens. Malgré tout, c’était comme cela que l’on faisait avancer nos recherches et notre travail.

Tahiti-Infos : Quand vous êtes-vous retrouvés pour la dernière fois ?
John DOOM : (soupir) C’était il y a un an car il était déjà très malade. Malgré tout, il était en train de travailler sur une nouvelle version du dictionnaire français-tahitien. Il m’a envoyé ses travaux, puis il s’en est allé. John MARTIN voulait absolument rétablir le reo mā’ohi et pour cela, je le remercie de tout mon cœur. Aurevoir mon ami…mon frère. Nous poursuivrons ton œuvre. J’embrasse toute sa famille.

Interview recueilli par Teaiki Pihahuna

Un homme d'honneur

Lors de la bataillede Bir Hakeim, en compagnie de  Marcel Allaume, Edouard Smith et Raymond Varney
Lors de la bataillede Bir Hakeim, en compagnie de Marcel Allaume, Edouard Smith et Raymond Varney
Dès 1940, alors qu’il venait à peine d’avoir 18 ans, John Martin est l’un des premiers polynésiens à répondre à l’appel outre-manche du général De Gaulle. Il fera partie de ces quelques 300 « tamari’i volontaires » à prendre les armes pour défendre la mère patrie. Le baptême du feu, il le connaîtra très vite, au cours de nombreuses batailles en Afrique du Nord, dont celui de Bir Hakeim. La guerre l’a plongé, sans transition, dans l’univers des adultes. Il le reconnaissait d’ailleurs. Et puis, pour ce jeune tahitien vivant au milieu d’une nature généreuse et luxuriante, c’était la première fois qu’il quittait sa Polynésie pour se retrouver en milieu hostile, sous le feu incessant du maréchal Rommel. « Cela m’a fait grandir plus vite » a-t-il confié, un jour à la presse locale.

Le 5 mai 1945, il reçoit des mains même de l’ancien gouverneur militaire de Paris, le général Pierre Koenig, devenu maréchal de France, la croix de guerre avec étoile d’argent. Une distinction dont il parle avec humour « plutôt pas mal pour un simple sergent chef, non ? »
Mais John Martin fut également nommé commandeur de la Légion d’honneur et reçut, entre autres, la Médaille militaire de la croix de guerre 39-45.
Sa période de « bidasse » comme il le disait parfois avec le sourire d’un « gars qui en vu », est celle qui l’aura marqué le plus. Il ne se lassait guère d’en donner les détails tels qu’il les avait vécus, avec ses autres camarades ultra-marins. Enfant du fenua, mais aussi vaillant combattant, John Martin était très amoureux de sa terre natale. Il lui aura consacré plus de 40 ans de sa vie, au service des ses habitants, de sa culture, de sa langue.

Une abnégation saluée par tous. « ‘Ia ora na ‘oe e te ‘aito, ‘eita ‘oe e mo’e hia e te nūna’a mā’ohi »

Rédigé par TP le Jeudi 3 Janvier 2013 à 15:49 | Lu 2417 fois