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Ciguatéra : une situation "préoccupante"


Selon Pascal Ramounet, directeur général de l'Institut Louis Malardé, la ciguatera est "un vrai problème insuffisamment pris en compte" en Polynésie.
Selon Pascal Ramounet, directeur général de l'Institut Louis Malardé, la ciguatera est "un vrai problème insuffisamment pris en compte" en Polynésie.
PAPEETE, le 7 juillet 2016. Avec 350 cas officiels de ciguatéra chaque année au fenua, un chiffre bien en deçà du nombre réel de personnes touchées, la situation est "préoccupante", souligne l'Institut Malardé. Les chercheurs travaillent actuellement sur un test qui permettrait d'identifier rapidement si un malade est atteint de ciguatéra. En parallèle, l'ILM prépare aussi son centre de production de ciguatoxines. Sa construction devrait démarrer l'an prochain.

Chaque année, 350 cas de ciguatéra sont officiellement recensés au fenua. Mais ce chiffre est loin de la réalité. Ces chiffres sont connus grâce au site internet ciguatera-online, lancé en 2015. Il permet aux infirmiers, médecins, pêcheurs ou "simples" consommateur de poissons de faire une déclaration en ligne lorsqu'il y a un cas de ciguatéra. "Ce site nous aide à résoudre le problème de la sous-déclaration des cas de ciguatera", explique Mireille Chinain, chef du laboratoire des micro-algues toxiques à l'Institut Malardé. "On sait qu'il y a un taux de sous-déclaration important. On est à 350 cas officiels par an mais on pense que ce chiffre devrait être multiplié par deux voire cinq."
Ces chiffres sont très importants. "En Polynésie, on a des taux d'incidence, selon les standards de l'Organisation mondiale de la Santé qui doivent être considérés comme une situation sanitaire extrêmement préoccupante", relève la spécialiste. Le nombre de cas de personnes touchées par la ciguatéra nous place en effet dans le trio de tête des pays au monde les plus touchés par ce type d'intoxication.

Dans les îles, où le poisson est un des principaux mets, certains habitants enchainent les intoxications à la ciguatéra. "Ils peuvent développer des formes chroniques qui sont très invalidantes", décrit Mireille Chinain.

Du côté de Malardé, on regrette qu'il n'y ait "pas une prise de conscience claire que la ciguatéra est un vrai problème de santé publique". "Les formes chroniques sont en augmentation. Ce n'est pas une maladie bénigne", relève Pascal Ramounet, directeur général de l'Institut Louis Malardé. "C'est un problème de santé publique mais aussi économique : cela gêne le développement de filière lagonaire car il n'y a pas de traçabilité. C'est un vrai problème insuffisamment pris en compte. (…) On fait avec les moyens que l'on a. Mais il est évident que si on avait plus de moyens on pourrait vraisemblablement aller plus vite même s'il n'y a pas de lien mécanique entre le nombre de gens qui travaillent et les résultats."

UN TEST EN PREPARATION
Grâce à ces connaissances et son travail, l'institut Malardé est aujourd'hui une référence dans la région sur la ciguatéra. La Polynésie est le seul pays dans le Pacifique à avoir un laboratoire de recherche dédié à cette pathologie. Les chercheurs de Papeete axent aujourd'hui leur travail sur l'homme : "On a travaillé sur les algues, les poissons et la structure des toxines ces 50 dernières années. Avec la multiplication des cas chroniques, la recherche biomédicale au niveau de la ciguatéra est un peu le parent pauvre. On met actuellement nos efforts sur des programmes aideront la prise en charge de ces patients", met en avant Mireille Chinain.

L'institut Malardé aimerait aussi pouvoir sortir bientôt un test qui permettrait de confirmer rapidement qu'un malade est atteint de la ciguatéra : "Dès lors que la ciguatéra est mal diagnostiquée ou un peu tard, ces gens ont plus de risques de développer une forme chronique. Si on pouvait disposer d'un outil de diagnostic qui permettrait avec une prise de sang de savoir s'il y a des taux de ciguatoxine importants, cela pourrait aider à la prise en charge", explique Mireille Chinain.
L'atoll de Fakarava et les archipels des Australes et des Gambier sont les zones les plus touchées par la présence de la ciguatéra.

Malardé, en pointe sur la production de ciguatoxines

Mireille Chinain, chef du laboratoire des micro-algues toxiques à l'Institut Malardé. dans son laboratoire.
Mireille Chinain, chef du laboratoire des micro-algues toxiques à l'Institut Malardé. dans son laboratoire.
L’Institut Louis Malardé (ILM) possède un savoir-faire unique en matière de cultures in vitro de la micro-algue Gambierdiscus, d’isolement et purification des ciguatoxines. L'ILM a donc décidé de mettre en place un centre de production de ciguatoxines.

Les études préalables, financées par le Pays, à la construction de ce centre sont actuellement en cours et devront être finalisées avant décembre. L'objectif est de présenter le dossier au comité de pilotage du contrat de projets prévu en fin d'année pour commencer la construction début 2017. Dans le meilleur des cas, le bâtiment devrait être opérationnel début 2018. Il sera construit à Paea, côté mer, en face du laboratoire d'entomologie.

Le coût du projet est estimé à 185 millions de Fcfp pour le bâtiment et 38 millions pour l'équipement. "Le but est d'alimenter la recherche, pour nos propres besoins mais aussi pour les laboratoires extérieurs", détaille Pascal Ramounet, directeur général de l'Institut Louis Malardé. "On ne va pas le faire gratuitement. Quand nous alimenterons des laboratoires extérieurs, cela nous procurera des revenus. Mais l'objectif n'est pas là. Ce n'est pas une unité commerciale ou industrielle. C'est bien une unité de recherche qui va permettre de cultiver des ciguatoxines dans un volume qu'il n'est pas possible de réaliser actuellement. Cet outil sera polyvalent : dès qu'on peut cultiver des microalgues toxiques, on peut produire aussi d'autres microalgues."

Les besoins en ciguatoxines vont augmenter à travers le monde. "Manger du poisson tropical est très à la mode dans les pays européens. Si ces poissons viennent de points chauds de la ciguatéra comme les Caraïbes, les consommateurs au niveau européen sont susceptibles de s'intoxiquer de façon sporadique. Cela entraîne des micro-épidémies, c'est déjà le cas en Angleterre, en France et en Allemagne", note Mireille Chinain. "La deuxième chose, beaucoup plus grave pour l'Europe c'est que la micro-algue responsable de l'accumulation des toxines de ciguatéra dans le poisson est présente au niveau de l'île de Madère et Canaries. Ils ont commencé à trouver dans les zones de pêche des poissons qui hébergent des toxines de type ciguatéra et qui provoquent des intoxications chez les gens qui en consomment, cela signifie que ce ne sont plus des cas importés mais des cas endogènes."

Les ciguatoxines cultivées par l'ILM pourront donc servir à plusieurs niveaux : "En matière de recherche, il faut déjà être capable de repérer dans les zones de pêche, la présence de poissons porteurs de ciguatoxines", explique Mireille Chinain. Les toxines pures serviront ainsi de référence pour calibrer ces tests. "Cela peut servir aussi pour les laboratoires pharmaceutique pour identifier comment les toxines fonctionnent au niveau moléculaire", poursuit la spécialiste. "On sait à peu près où ça se fixe mais on ne sait pas comment et on ne connait pas bien les modes d'action précis, c'est cela qui nous permettra de mettre au point les médicaments pour lutter efficacement contre ces molécules."

La ciguatéra c’est quoi ?

La ciguatéra c’est une intoxication alimentaire par un poisson ou un invertébré marin (oursins, bénitiers, troca). Ceux-ci, alors qu’ils paraissent frais à l’œil nu, sont rendus toxiques par une toxine. La toxine est issue chez les poissons d’une micro-algue (le dinoflagellé Gambierdiscus), chez les invertébrés d’une cyanobactérie. Concrètement les poissons ou invertébrés s’infectent comme suit : une agression d’origine naturelle (cyclone, houle violente) ou humaine (pollution, travaux, échouage) détruit le corail. Une fois le corail détruit, une algue visible à l’œil nu s’installe. Puis arrive Gambierdiscus la productrice de toxine. Elle est invisible à l’œil nu. Les poissons ou les invertébrés mangent le corail plein de toxine. L’homme mange les poissons ou les invertébrés intoxiqués et tombent malades. La ciguatéra évolue dans le temps et dans l’espace en fonction des agressions et des reconstructions du corail. D’où l’intérêt d’avoir en temps réel ou presque une carte qui situe les zones à ciguatéra.

Rédigé par Mélanie Thomas le Jeudi 7 Juillet 2016 à 16:41 | Lu 4070 fois