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"C’est bien l’Assemblée qui est chargée de régler toutes les affaires de notre pays" (Tuihani)


Marcel Tuihani, jeudi 9 avril à l'Assemblée la Polynésie française
Marcel Tuihani, jeudi 9 avril à l'Assemblée la Polynésie française
PAPEETE, 9 avril 2015 - Marcel Tuihani, installé au perchoir le 15 septembre dernier, préside à l'ouverture de sa première session administrative de l'Assemblée. Dans son discours, par le biais de "considérations personnelles", il a développé le rôle qu'il entendait donner à la chambre législative polynésienne qu'il préside, afin de relativiser l'impression d'une 3e institution en contradiction permanente avec l'exécutif et le Président du Pays.

"C’est bien l’Assemblée qui est chargée de régler toutes les affaires de notre pays", a-t-il notamment déclaré en rappelant la fonction de l'Assemblée décrite par l'article 102 du statut d'autonomie.

Après avoir posé le décor d’un pays en crise, il a mis en garde les représentants : "Faisons attention afin que l’absence de perspective se transforme en perte d’espoir".

Intervention du Président de l’assemblée de la Polynésie française, Monsieur Marcel TUIHANI

Ouverture solennelle de la session administrative, Jeudi 9 avril 2015


Monsieur le Président de la Polynésie française,
Monsieur le vice-président du Gouvernement de la Polynésie française,
Monsieur le président du conseil économique social et culturel
Monsieur le conseiller économique social et environnemental
Mesdames et messieurs les ministres,
Madame et messieurs les députés,
Mesdames et messieurs les Représentants, chers collègues,
Messieurs les présidents des confessions religieuses,
Mesdames et messieurs les chefs de service de l’Etat, du Pays et de l’Assemblée de la Polynésie française,
Messieurs les présidents de l’assemblée territoriale de la l’Assemblée de la polynésie française
Mesdames et messieurs les journalistes,
Chers téléspectateurs et internautes,
Iaorana,

La première séance de notre session dite administrative revêt toujours un caractère solennel, quand bien même l’usage s’efforce d’en simplifier les contours et d’en faire un rendez-vous plus ordinaire. Pourtant, cette solennité a un sens. Comme dans tous les systèmes parlementaires, l’ouverture de la session est considérée comme l’hommage d’un peuple et de ses corps constitués à l’ensemble de ses institutions, la pièce maitresse étant l’Assemblée, de laquelle toutes les autres tirent leur légitimité.
Je souhaite que s’instaure dans cet hémicycle, lieu privilégié du débat démocratique, un esprit de dialogue au service d’une ambition commune : construire ensemble le destin de notre Pays. Faisons ce qui est en notre pouvoir pour mériter cette confiance.
Depuis mon élection le 15 septembre, en tant que président de l’assemblée de la Polynésie française, sept mois se sont écoulés. Je dois concéder que je n’imaginais pas exercer mon mandat de président de l’assemblée dans un climat que je qualifierai de « particulier ». Pour le jeune président que je suis, c’est ce qu’on appelle un démarrage sur les chapeaux de roues, d’autres diront un baptême du feu.
Depuis, je me suis employé à prendre de la hauteur, pour rester dans mon rôle de président, car il est de ma responsabilité de distinguer l’action politique de la gestion de l’institution. Et si parfois nos débats ont été animés, c’est parce que c’est le propre du débat démocratique. Il n’en demeure pas moins vrai que la majorité à laquelle j’appartiens a toujours soutenu l’action du gouvernement. J’en veux pour preuve que sur les 47 textes déposés par le gouvernement, lois du pays ou délibérations, examinés par notre assemblée, tous ont été approuvés avec les voix de notre majorité, quand bien même certains ont aussi été soutenus par l’opposition, sans aucune alliance politique.
Cela a été le cas par exemple pour le budget 2015. A ce sujet je voudrais rappeler que le budget a été approuvé quasiment en l’état pour donner au gouvernement les moyens de son action, soit plus de 162 milliards de FCFP, dont 121 milliards pour le fonctionnement et 41 milliards en crédits de paiement pour l’investissement. En ce qui concerne les autorisations de programme, ce sont plus de 63 milliards de FCFP qui ont été votés.
De mêne, le processus de consultation obligatoire pour les subventions attribuées par le pays a fonctionné normalement. Ce sont ainsi près de 6,5 milliards d’aides financières qui ont été examinés par la commission de contrôle budgétaire et financier (CCBF) sur les six derniers mois, pour un nombre total de 254 dossiers déposés par le gouvernement.
On peut aussi mentionner d’autres dossiers majeurs, comme les deux contrats de projet sur la période 2015/2020, ainsi que la convention RST votée à l’unanimité des 57 représentants.
Aucun dossier déposé par le gouvernement n’a été rejeté par notre assemblée. Pourtant, j’ai été accusé de vouloir entraver l’action du gouvernement, ce qui n’a été que pure spéculation. J’ai tout simplement veillé à ce que notre assemblée puisse assumer ses prérogatives. Ce faisant, je suis pleinement dans mon rôle, JE L’ASSUME.
Je ne partage pas cette conception réductrice de la politique qui consiste à penser que tous les coups sont permis, et que les luttes intestines doivent prendre le dessus sur l‘intérêt général. Mais comment réconcilier la jeunesse avec la politique, quand on regarde le spectacle que nous donnons de nous-mêmes, alors que la situation économique et sociale prive nos concitoyens de perspectives et d’avenir. Notre pays va mal, la reprise annoncée se fait toujours attendre, les emplois n’arrivent pas, les familles galèrent toujours autant, la souffrance est réelle, la misère toujours présente
Les derniers indicateurs de conjoncture constatés sur le dernier trimestre 2014 par l’institut d’émission d’outre mer montrent que notre économie a encore du mal à remonter la pente. L’emploi salarié ne baisse plus, tant mieux. S’il a progressé en un an de 0,8%, c’est grâce au recours accru à l’emploi intérimaire et temporaire, nous apprend la note expresse de l’IEOM. Il ne s’agit pas de nouveaux emplois créés.
Nous devons espérer que cette remontée se poursuive tout au long de l’année 2015, sous l’effet conjugué de la relance des investissements prévus au contrat de projets 2015-2020 approuvé en mars 2015 par notre assemblée, et du démarrage des grands chantiers porteurs comme celui du Tahiti Mahana Beach.
Mais, soyons lucides, les évolutions restent contrastées : même si les secteurs du tourisme et du BTP maintiennent une activité encore énergique, nos exportations de produits locaux reculent de nouveau cette année notamment pour les produits agro alimentaires, les poissons et les crustacés, et la perle, confirmant une activité dans le secteur primaire qui continue de se dégrader. Même la production de coprah est en baisse après deux trimestres consécutifs de hausse. Je crains que la grève à l’huilerie de Tahiti n’arrange pas ce secteur.
Faisons attention, afin que l’absence de perspectives ne se transforme pas en absence d’espoir. Nous aurions alors tous échoué.
Pour ma part, je ne suis pas entré en politique pour être un pot de fleur, pour reprendre un terme d’actualité. Je m’emploie chaque jour à faire la part des choses et à croire que ce ne sont là que des incidents de parcours. On me dit que l’adversité fait grandir, alors je le prends comme tel. Mais ai-je le choix ? Certains me disent oui, d’autres non.
Je suis entré en politique parce que j’ai des convictions, parce que j’ai des ambitions pour mon pays. J’ai accepté d’être président de l’assemblée, parce qu’au nom de ces convictions, je milite pour que le rôle de notre assemblée ne se réduise pas à être une chambre d’enregistrement.
Soyons ambitieux, ayons de l’audace. Nous pouvons réussir si nous savons transcender nos divisions, si nous savons dépasser nos divergences. Nos ambitions ne trouvent à s’accomplir que dans la volonté que nous avons d’en faire des objectifs et elles n’ont de valeur qu’à la condition qu’elles soient au bénéfice de tous.
Je tenais à partager avec vous ces considérations personnelles, car je conçois mon rôle comme un tout : la fonction que j’exerce n’est pas détachée de ce que je suis.
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Vous l’avez bien compris, j’ai une vision proactive du rôle de notre institution. Je suis convaincu que notre assemblée, parce qu’elle porte la légitimité populaire dans sa diversité, a un autre rôle à tenir que celui, souvent trop passif, dans lequel on l’a cantonnée.
Je me fais un devoir de permettre à notre assemblée d’exercer toutes ses compétences prévues dans le statut, et rien que ses compétences, et ainsi de jouer pleinement le rôle que le législateur a prévu pour elle. Le statut d’autonomie de la Polynésie française est clair, et souvent, on nous dit : exerçons déjà les compétences que nous avons avant d’en vouloir d’autres. C’est ce que je fais.
Lorsque notre assemblée vote des résolutions, elle est clairement dans son rôle.
Le 19 septembre 2014, dans l’allocution que j’ai prononcée lors de l’ouverture de la session budgétaire, j’ai indiqué que notre institution est dotée des prérogatives qui font d’elle un véritable pouvoir législatif aux côtés de l’exécutif. On lui a trop souvent reproché dans le passé d’être inactive ; elle doit, au contraire, et c’est ma conviction, jouer un rôle plus actif, plus participatif, dans la gestion des affaires de notre pays comme le lui permet l’article 102 de notre statut d’autonomie.
Ce n’est pas, comme certains veulent le faire croire, l’assemblée qui empiète sur les compétences du gouvernement ou qui veut agir à la place du gouvernement, c’est l’assemblée qui agit dans son domaine de compétence. Et, c’est bien parce qu’elle est l’expression de la légitimité populaire que le législateur organique l’a doté des attributs du pouvoir législatif.
C’est dans ce cadre que j’ai déposé trois résolutions sur des sujets qui relèvent de la compétence de notre assemblée. C’est aussi dans ce cadre que, sur la question du retour de l’Etat au RST, j’ai souhaité un vrai dialogue avec le gouvernement. Notre assemblée s’est ouverte à la société civile grâce aux consultations qui ont été fort bien ressenties par les secteurs professionnels concernés par les mesures qu’il nous était demandé de voter. Et je considère que c’est notre rôle.
Même si l’action des élus a été déformée et interprétée à tort comme une contestation de l’action gouvernementale et qu’elle a, une fois de plus, été utilisée pour nous opposer, je reste convaincu qu’en utilisant leur droit d’amendement, ils n’ont fait que leur devoir, celui pour lequel la population les a portés dans cette assemblée. Je suis convaincu que nous n’aurions pas réussi à trouver l’unanimité sur le texte, si nous n’avions pas ouvert la discussion sur les points qui posaient problème.
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A l’occasion du débat sur la convention, certains propos m’ont interpellé, en ce qui concerne le rôle et l’action de l’assemblée. « L’assemblée doit juste dire oui ou non à cette convention. Elle n’a pas le pouvoir de la modifier ».
Ces propos méconnaissent ouvertement les institutions de notre pays dont le statut confie explicitement et, sans équivoque, à l’assemblée de la Polynésie française, non pas la faculté de « juste dire oui ou non » lorsqu’elle doit approuver une convention de financement avec l’Etat, mais bien d’exercer pleinement les attributions que lui confie notre statut d’autonomie y compris le pouvoir d’amendement sans que cela soit interprété comme un acte de sédition.
Croyez vous que les électeurs attendent de l’assemblée de la Polynésie française un rôle passif ? Hormis les compétences expressément attribuées au gouvernement, c’est bien l’assemblée qui est chargée de régler toutes les affaires du Pays en application de l’article 102 de notre statut et, en ce qui concerne les conventions qui lient le Pays et l’Etat pour des concours financiers et techniques, c’est à l’assemblée que le législateur organique a confié la responsabilité de les approuver, avant leur signature par le président, en application de l’article 170-1 de notre statut.
Je rappelle que l’assemblée a adopté avec des conditions, le contrat de projets 2008-2013 par délibération n°2008-16/APF du 23 mai 2008 dont l’article 1er est ainsi rédigé : « L’assemblée de la Polynésie française approuve le contrat de projets, dans les termes et conditions des articles suivants ». Il faudrait aussi lire les articles suivants de la délibération, parce que, pas plus en 2008 qu’en 2015, les représentants n’ont outrepassé leurs prérogatives en déposant les amendements qui ont été débattus.
En 2011 aussi, l’Assemblée a assorti d’une réserve le plan redressement des comptes qu’elle a approuvé par délibération n°2011-43/APF du 11 août 2011, et elle l’a fait, parce qu’elle en avait le pouvoir.
Si l’article 102 de notre statut précise que « l’assemblée contrôle l’action du président et du gouvernement de la Polynésie française », il ne faut pas percevoir ce contrôle comme une censure. Ce n’est d’ailleurs pas l’esprit du législateur.
Pardonnez-moi ce long développement. Mais il était nécessaire d’en faire le rappel. L’assemblée ne doit pas être réduite à une simple formalité. Pour cela, elle doit pouvoir exercer toutes les prérogatives qui sont les siennes.
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Je compte bien utiliser toutes les voies possibles que nous offre notre statut d’autonomie pour appeler les élus à se positionner sur les questions qui nous concernent, celles qui, évidemment s’inscrivent dans le champ de nos compétences. Notamment, celles qui plus généralement touchent aux enjeux de notre société, et donc à notre avenir.
Le statut nous autorise à intervenir dans les compétences de l’Etat par des résolutions pour demander, soit à étendre des lois ou des règlements en vigueur en métropole, soit à abroger, modifier ou compléter les dispositions législatives ou règlementaires applicables en Polynésie française.
C’est dans ce cadre que j’ai déposé trois propositions de résolution pour vous appeler chers collègues à vous positionner sur des questions qui intéressent, les Polynésiens que nous représentons.
La première fois pour demander aux autorités de l’Etat qu'elles déterminent, dans le cadre d'une loi organique, les conditions dans lesquelles elles adopteront les mesures pour la gestion, la conservation, la surveillance, le retraitement, l'évacuation des déchets et la réhabilitation des atolls de Moruroa et Fangataufa et de leurs lagons, en vue d’une indemnisation du préjudice écologique et environnemental dont est victime notre pays.
Cette initiative violemment critiquée par certains est pourtant une question qui doit interpeller nos consciences parce qu’il s’agit, au travers du devenir de ces atolls, de l’héritage que nous laisserons derrière nous à nos enfants. Il s’agit là du devoir de mémoire.
En plein processus de réhabilitation de ces deux atolls, si nous n’agissons pas, en dépit de moyens même dérisoires qui sont les nôtres, qui le fera ? N’en déplaise à certains, la page des essais nucléaires n’est pas tournée en Polynésie française ! Vous le savez, les conséquences sanitaires et environnementales et la restitution des attols ne sont pas réglées.
Sur un autre registre, qui reste douloureux, celui des victimes du nucléaire, qui peut dire que la loi Morin est satisfaisante, même si elle constitue une avancée ?
Ce sont des sujets sensibles qui ont conduit la majorité à se diviser. Or, nos sensibilités individuelles ne doivent pas nous conduire à la division. Bien au contraire notre sensibilité polynésienne doit nous rassembler, nous mobiliser tous pour défendre nos intérêts d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
J’ai déposé une seconde proposition de résolution demandant à l’Etat l'adoption d'une loi organique tendant à actualiser et à conforter le statut d'autonomie de la Polynésie française. Pourquoi, là encore, l’initiative qui consiste à demander à l’Etat de renforcer certaines de nos compétences ou d’en prévoir de nouvelles, doit être contestée avec tant de véhémence ? J’ai essuyé une tornade de critiques. Cette résolution n’a toujours pas été examiné, alors que tout le monde reconnait pourtant la nécessité de toiletter et améliorer notre statut actuel.
Chers amis, chers représentants, sur toute question où l’intérêt de notre population se pose avec la force de l’évidence, nous devons être force de propositions.
Nous sommes élus dans le but d’agir pour l’intérêt de notre Pays et de ses habitants.
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Je veux à présent aborder la question des communes, qui sont au cœur des débats et des enjeux. Et sur ce point, notre assemblée a su être une force de proposition pertinente.
Nos sénateurs se sont fait le relais des préoccupations des communes de Polynésie française puisqu’ils ont été à l’initiative directe d’amendements dans le cadre de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, et cela en parfaite résonnance avec les maires.
Ils ont ainsi proposé que les échéances fixées par le CGCT pour la mise en œuvre, par les communes, de leurs compétences environnementales soient reportées. Les échéances pour la collecte et l’élimination des déchets, pour le service d’eau potable, pour le service d’assainissement et pour les cimetières et les opérations funéraires, ont été reportées au 31 décembre 2024.
Ce report était nécessaire, tant les difficultés pour mettre en œuvre ces obligations sont nombreuses. De tels services coûtent chers, aussi bien lorsqu’il s’agit d’investir que de s’équiper que lorsqu’il s’agit de faire fonctionner ces équipements. Ils supposent que les communes dégagent des sources de financement de ces services.
Notre assemblée a été saisie de ces projets d’amendements et s’est prononcée favorablement le 15 décembre 2014.
Cette collaboration fructueuse entre notre institution et nos représentants au Sénat, en faveur de nos communes, permettra ainsi à ces collectivités d’étudier, de programmer et de mettre en œuvre les équipements nécessaires à ces services publics, au mieux des intérêts des habitants.
Mais les communes auront-elles réellement les moyens de leurs ambitions ? La question est posée.
Nous avons été amenés à examiner les deux contrats de projets pour la période 2015-2020, que le gouvernement a, depuis, signés. Mais pour autant, comment ne pas retenir que les crédits prévus ne pourront certainement pas suffire. Le contrat de projet relatif aux investissements des communes prévoit une enveloppe globale de 12 milliards de francs dont 50 % sont financés par le Pays, sur toute la période soient 6 ans. L’Etat ne contribuera qu’à hauteur de la moitié.
Ce sont deux milliards par an à partager entre les 48 communes. Or, les services environnementaux coûtent chers, car ils mettent en œuvre des techniques et des infrastructures complexes.
Rappelons-nous du constat effectué par l’AFD qui estimait le besoin global d’investissement pour l’assainissement, entre 50 et 100 milliards de francs.
Le seul programme de l’île de Bora-Bora a couté près de 3 milliards. L’assainissement de la zone de Haapiti à Moorea, près de 1, 5 milliards, pour 7 kilomètres et une population permanente de 1 700 habitants. L’assainissement de la commune de Punaauia aura coûté 6 milliards.
Autant dire que les besoins sont immenses et cela ne comprend même pas les volets relatifs au traitement des déchets et la potabilité de l’eau.
Les sommes mobilisées par l’Etat sont indubitablement bien en deçà de ces enjeux, en deçà des exigences posées par le CGCT, en deçà des besoins de nos concitoyens.
La troisième résolution a consisté à demander l’augmentation de la quote part de l’Etat au fonds intercommunal de péréquation.
Cette fois encore, la démarche a été injustement, mal interprétée.
Actuellement la quote-part versée par l’Etat représente 16 % de celle que le Pays verse. La Polynésie française supporte donc l’essentiel des financements octroyés aux communes.
Il me semble normal que l’Etat contribue davantage, au regard des défis que les communes doivent relever, du moins si l’on veut réellement qu’elles soient en mesure de répondre à leurs obligations réglementaires.
L’Assemblée, dont les représentants sont également bien souvent des élus municipaux, mesure parfaitement les difficultés des communes. Elle a donc souhaité être une vraie force de proposition et poursuivra dans cette voie, car les difficultés dont je viens de faire état, ne sont pas levées. Si nous voulons véritablement faire de nos communes des partenaires du développement, nous devons tout faire pour adapter les moyens techniques et financiers, car ce sont elles qui sont au plus près des populations.
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Ces dossiers ont été au cœur des deux visites importantes, qui ont marqué ce début d’année. Il s’agit de la visite du président de la commission des lois, Monsieur Jean Jacques Urvoas, et celle de la ministre des Outremer, Madame George Pau-Langevin.
J’ai eu l’occasion d’avoir un échange avec le président de la commission des lois et j’ai pu le sensibiliser à certains de nos dossiers et notamment aux résolutions votées par l’assemblée que j’ai évoqué plus tôt. J’aurai apprécié qu’il passe un peu plus de temps au contact des élus et de l’assemblée. Nous aurions pu échanger plus en profondeur et l’éclairer utilement. Je veux croire qu’il ait pu se faire une juste opinion des réalités qui sont les nôtres, et de celles, en particulier, qui concernent nos communes. J’en suis persuadé.
Il a pu mesurer les contraintes de l’éloignement et de l’isolement, et donc se rendre compte de la pertinence des amendements déposés par nos deux sénateurs. J’ai noté que l’assemblée nationale a adopté à son tour ces deux amendements, et je m’en réjouis.
Autant le séjour de Monsieur Urvoas a été conséquent, neuf jours ; autant celui de Madame la ministre Pau-Langevin a été au pas de charge. Trois jours pour mesurer les réalités polynésiennes, c’est un peu court, mais j’ai trouvé une ministre, chaleureuse, ouverte et attentive. L’accueil polynésien a été à la hauteur de notre réputation, et nous nous en réjouissons tous. Cependant, permettez-moi de revenir sur deux points qui me chagrinent.
Le premier concerne les essais nucléaires. Madame Pau-Langevin a déclaré à la télévision, je cite : « Il y a une dette morale puisque la Polynésie a contribué à la grandeur de la France"».
Ces propos m’ont interpellés, car je veux croire, et c’est tout l’objet de la résolution votée par l’assemblée, que la France reconnaît avoir une dette tout court vis à vis de la Polynésie française. Qu’est-ce qu’une dette morale, si elle ne se traduit pas dans la réalité par des actions ? La sagesse populaire dit bien : « qui paye ses dettes s’enrichit ». La France gagnerait à reconnaître ce que la Polynésie et les Polynésiens lui a apporté en accueillant ses essais. Elle serait « juste » si elle reconnaissait le préjudice, et conforme aux valeurs de la République, si elle acceptait d’en assumer les conséquences, sans faux fuyants, sans esquives. Nous méritons mieux qu’une dette morale.
Le second point, concerne la convention sur le RST. Interrogée, toujours à la télévision, pour savoir ce qui se passerait si d’aventure la convention n’était pas signée, la ministre a simplement déclaré : « Eh bien ce sera tant pis pour les Polynésiens ».
Ces propos m’ont aussi interpellé, car l’aide que nous attendons de l’Etat concerne les plus démunis d’entre nous. Il s’agit de l’expression de la solidarité nationale. Certes, la convention qui prévoit le retour de l’Etat au RST est assortie de conditions, de contreparties. Nous en avons largement débattu ici la semaine dernière. Mais tout de même, la réponse de la Ministre m’apparait décalée car, je crois vraiment que les Polynésiens, qui ont majoritairement exprimé leur attachement à la République en lui témoignant un accueil mémorable et chaleureux, devraient être mieux considérés.
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Je veux inscrire mon action dans cette perspective : le respect des Polynésiens. Le respect de mes compatriotes. Mais je m’interroge aussi : comment demander que l’on respecte les polynésiens, si nous, qui sommes les représentants ne sommes pas capables de nous élever au-dessus de nos querelles ? C’est pourquoi, il nous faire autrement afin de changer le regard que nous portons sur la politique, qui est quelque chose de beau, de noble et de nécessaire. Je me dois d’évoquer devant vous, avant de conclure, ce qui se passe sur un plan plus politique, car cela aura des incidences sur le fonctionnement de notre assemblée. Notre majorité, celle voulue par les Polynésiens le 5 mai 2013, s’est fissurée.
Certains se réjouissent de nos divisions, c’est le jeu. Pour autant je veux croire que nous saurons rester solidaires lorsque les décisions vont dans le sens des engagements que nous avons pris ensemble devant les Polynésiens.
Ce qui m’inquiète surtout, c’est l’effet de cette situation sur la relance économique et donc sur la création d’emplois. Veillons à ne rien faire qui porte atteinte aux intérêts de notre Population.
Ici même le 10 mai 1988, un de mes prédécesseurs se faisait déjà l’écho de cette attente, en souhaitant que les élus retrouvent « tous ensemble le sens de la mesure ». il disait encore, je cite :
« J’ai la naïveté de croire que les souffrances que nous avons connues dans un passé récent sont ressenties avec force et exprimées avec sincérité pour nous permettre de nous situer bien au-dessus de nos intérêts propres ; j’ai la naïveté de croire que ces souffrances doivent nous rapprocher.
Arrêtons de nous laisser gouverner par nos appétits qui nous conseillent peut-être pas toujours le meilleur, et attachons nous, malgré nos différences à travailler à réparer les erreurs du passé et bâtir demain. Nous ne devons pas tirer argument de l’héritage pour justifier nos actes… » Je n’ai pas changé un mot de cette intervention de Mr Jean Juventin. Je peux la faire mienne, comme vous l’avez surement déjà faite vôtre. La session qui s’ouvre et les débats qui vont nous animer, doivent nous permettre de répondre aux espérances de celles et de ceux qui nous ont fait confiance. Notre présence dans cet hémicycle n’a pas un autre sens.
Je vous remercie.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 9 Avril 2015 à 10:08 | Lu 2823 fois