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Au Tahoera’a, c'est aussi une histoire de gros sous


Gaston Flosse et Edouard Fritch, le 17 mai 2013 au lendemain des élections territoriales
Gaston Flosse et Edouard Fritch, le 17 mai 2013 au lendemain des élections territoriales
PAPEETE, 19 mars 2015 - Les tensions latentes entre Gaston Flosse et Edouard Fritch, ont éclaté lundi au grand jour, avec l’annonce par le Président du soutien de ses champions pour les sénatoriales partielles. Au Tahoera'a, le vainqueur du 3 mai terrassera son adversaire. Et derrière la victoire politique se profile le magot orange.

Un signal fort a été lancé lundi par Edouard Fritch, avec l'annonce de ses champions pour les sénatoriales, alors que les 89 sections de commune polynésiennes doivent procéder, vendredi matin, à l’élection des 650 délégués appelés à voter au scrutin du 3 mai prochain.

Depuis son accession à la Présidence, il y a six mois, Edouard Fritch a pris, pas à pas, ses distances avec son mentor et ex-beau père. De feutrées, les attaques sont devenues publiques.

Mercredi, le Tahoera'a Huira'atira, appareil politique encore fermement tenu par Gaston Flosse, et dont Edouard Fritch est toujours le président délégué, a publié sur son site un communiqué au vitriol à l'encontre du "fils spirituel". Il se dit que Marcel Tuihani, père, en serait l’auteur.

A la fin de son communiqué, le parti conseille à Edouard Fritch "de ne pas persister dans l'erreur tant politique que juridique et de signer la fin des hostilités : sa maison est le Tahoeraa Huiraatira".

Le parti orange reproche à Edouard Fritch de "faire campagne" avec "une débauche de moyens publics" pour "séduire les maires" avant les sénatoriales partielles de mai. Début février, l’annulation par le Conseil constitutionnel de l'élection du 30 septembre et la déchéance de deux proches de Gaston Flosse – son gendre, Vincent Dubois, et la fidèle Teura Iriti – a littéralement démoli le semblant d'équilibre qui régnait encore entre pro-Fritch et pro-Flosse au sein du Tahoera’a. Aujourd’hui il apparaît évident que celui qui remportera les sénatoriales du 3 mai terrassera l’autre.

Lundi, Edouard Fritch a annoncé sur le plateau du journal télévisé de TNTV qu'il soutenait, pour ce scrutin, deux candidats autres que ceux choisis par le parti.

Après avoir perdu tous ses mandats en septembre, suite à sa condamnation définitive à trois ans d'inéligibilité dans l’affaire dite des emplois fictifs, à 83 ans Gaston Flosse est désormais contraint de jouer d’une influence qui s’affaiblit à mesure que le groupe Tahoera’a se décompose à l’Assemblée de la Polynésie française.

C'est la guerre

Et en filigrane, la fuite des hommes s'apparente aussi, pour lui, à une hémorragie financière. Seize élus, voire 17 sur les 38 qui siègent sur les bancs orange, ont aujourd'hui rejoint le camp Fritch ; deux des trois députés orange (Maina Sage et Jean-Paul Tuaiva) et peut-être demain, les deux sénateurs de la Polynésie française. Outre la rémunération versée, chaque année, les 38 représentants Tahoera'a de l'Assemblée gèrent un total de 324 millions Fcfp de crédits collaborateurs, dont la moitié est reversée au groupe. A cela on doit ajouter les 31 millions Fcfp de dotation annuelle due au groupe orange par l'Assemblée.

Potentiellement, chaque représentant apporte donc, du seul fait de ces dotations, près de 5,1 millions Fcfp par an au groupe et indirectement au parti. C'est aussi ce que coûte chaque transfuge au camp Flosse. A quoi on pourra ajouter les 23,4 millions Fcfp de dotation Etat qui abondent chaque année dans les caisses du parti grâce aux 5 parlementaires polynésiens (hors rémunérations et indemnités diverses). Mais le parti attributaire de ces fonds est susceptible de changer chaque année en novembre.

De sorte qu'en cas de divorce officiel, c'est à dire en constituant un groupe à l'Assemblée, le camp Fritch pourrait dès aujourd'hui disposer de 105 millions Fcfp de dotations pour ses besoins.

Les sénatoriales partielles seront la charnière, en mai. Gaston Flosse et son parti ont imposé début février le ticket Dubois-Iriti, tandis qu’Edouard Fritch, propose dorénavant à cette élection celle du vice-président de son gouvernement, Nuihau Laurey, et de Lana Tetuanui, l’épouse du très influent président du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française, Cyril Tetuanui.

Aujourd’hui, malgré sa large victoire dans les urnes aux Territoriales de mai 2013 puis aux municipales d’avril 2014, le Tahoera’a et plus largement la Polynésie française assistent à une guerre de succession. Et en dépit de ce qu’annonçait Edouard Fritch, en septembre dernier, il ne s’agira pas d’une "succession douce".

A l'assemblée, le camp Flosse est désormais de 22 élus sur 57 alors que la majorité est atteinte à 29. En revanche, Edouard Fritch contrôle le gouvernement, dispose de 16 à 17 représentants qui lui sont favorables et a montré des signes d'ouverture à l'opposition.

L'enjeu pour les deux hommes est désormais de convaincre les grands électeurs. Le scrutin fixera le nouveau rapport de force. Et sur ce terrain, Edouard Fritch bénéficie d’atouts de choix à la tête de l’exécutif. Il ne fait pas l’ombre d’un doute aussi que son intervention publique, en soutien à des candidats autres que ceux officiels du Tahoera’a fait suite à une estimation des forces en présence qu’il juge largement en faveur de ses champions. L’avenir le dira ; mais en attendant le divorce est consommé et public, entre les deux hommes. Et en politique comme ailleurs, l'argent est l'âme soeur du pouvoir.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 19 Mars 2015 à 16:07 | Lu 4936 fois