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Arue-Mahina : la question de la limite territoriale déjà évoquée et réglée en 1959


Arue-Mahina : la question de la limite territoriale déjà évoquée et réglée en 1959
Alors que dernièrement le maire de Mahina menaçait d’engager une procédure administrative pour « récupérer » une partie de son territoire municipal sur les terres d’Arue, le fond 48W du service des archives de Polynésie française nous rappelle que ce problème avait déjà fait l’objet de toute l’attention de l’administration coloniale en 1959.

La question avait d’ailleurs été tranchée : une pierre "Raimanu", située au col du Tahara’a, marque cette limite, historiquement.
Mais cette frontière avait été déplacée en 1926 puis figée lors des relevés cadastraux de 1927 à l’initiative du patron d’un débit de boissons, pour les besoins de son commerce, et à la barbe de l’administration coloniale.

"J’ai l’honneur de vous faire connaître que les opérations cadastrales exécutées en 1926 ont tenu compte, pour la séparation des districts d’Arue et de Mahina, de la nouvelle et fantaisiste limite établie par le sieur Souiry, pour les besoins de sa cause, alors que la terre Tipapa appartenant à M. Jay (col du Taharaa, ndlr) est comprise dans les titres de propriété dépendant du registre des terres d’Arue et datant de 1852", précisait le Chef du service de l’Enregistrement, des Douanes et du Cadastre dans un courrier daté le 14 avril 1959 au Chef de la circonscription administrative des Iles du Vent. Et le fonctionnaire recommandait, visionnaire, "en vue d’éviter à l’avenir des difficultés de tous ordres et particulièrement des contestations (…) de préciser par arrêté les limites définitives de ces deux districts », ajoutant que pour sa part « la modification sur les documents cadastraux ne présente aucune difficulté et sera effectuée d’office."

Arue-Mahina : la question de la limite territoriale déjà évoquée et réglée en 1959
Pour les besoins du Lafayette

Le 15 janvier 1959, une note était adressée au Chef de la circonscription administrative des Iles du Vent, par M. Jay pour étayer sa plainte. Elle relatait les tribulations de la limite Arue-Mahina : "En 1926, un conducteur de travaux du service des Travaux publics, nommé Souiry, habitait avec sa femme une grande maison sise au pied de la descente de Taharaa, versant Mahina, actuellement propriété de Mr. Wilmet.
Dans cette maison, madame Souiry, épouse du conducteur, avait ouvert un établissement de nuit dénommé « Lafayette » en vertu d’une patente de boissons alcoolisées qu’elle détenait, patente qui n’était valable que pour le district de Mahina.
Malgré l’activité des propriétaires de l’établissement, les affaires restaient modestes : contrariées qu’elles étaient par la difficulté du parcours que devait faire la clientèle venant de la ville.
A cette époque, en effet, les taxis de Papeete étaient, en majeure partie, représentés par les 10 CV Citroën modèle 1920. Ces voitures arrivaient, tant bien que mal, à monter, avec leur pleine charge de clients, la montée de Taharaa dans le sens Papeete-Mahina, une partie des passagers étant toujours disposés à faire à pied la partie la plus dure de la côte, voire même à pousser la voiture.
Sur le chemin du retour, par contre, les choses allaient moins bien : tout d’abord la pente de la route dans le sens Mahina-Taharaa est plus forte que dans le sens Arue-Taharaa ; de plus, la route, côté Mahina, était pavée de gros pavés inégaux qui interdisaient aux automobiles de prendre leur vitesse favorable. Et enfin, au retour d’une soirée bien remplie, la clientèle entassée dans le taxi se trouvait absolument hors d’état de coopérer valablement, ne fusse qu’en parcourant quelques centaines de mètres à pied, comme elle le faisait si volontiers sur le chemin de l’aller.

Cet état de chose portait à l’essor de l’établissement des époux Souiry un préjudice évident.
Le conducteur des travaux des T.P. trouva un moyen ingénieux d’y remédier.
Ayant, au préalable, obtenu l’accord des chefs des districts en cause, Mr. Souiry présenta au service des T.P. une pétition de la population d’Arue, demandant que la limite des prestations du district fût arrêtée au pied de la montée de Taharaa, au lieu d’aller jusqu’au haut de la colline, où se trouvait le poteau de la limite des districts, km 8.
En apparence, ce n’était là qu’une modification du service de la voirie rurale, mais Mr. Souiry parvint à faire entériner sa nouvelle limite par le service des douanes, sans qu’aucune décision n’ait été prise par le Gouvernement, qui n’eut, en fait, rien à en connaître.

Les époux Souiry transportèrent aussitôt leur établissement de l’autre côté de la colline de Taharaa, vers la ville, et s’installèrent sur le bord de mer, dans le bâtiment actuellement habité par la famille Brinckfieldt, près de la borne kilométrique 7, qui se trouva, pour les besoins de la course, transformée en borne de district.

"inextricable désordre"

A dater de ce jour l’établissement connut une vogue inespérée : le trajet vers la ville, désormais raccourci et tout en plaine, permit aux taxis modestes de l’époque de faire chaque soir de nombreux voyages, amenant et ramenant sans ennuis leurs nombreux clients.

Ce résultat spectaculaire obtenu, Mr Souiry, conducteur des T.P., ne se soucia aucunement de ce que pourrait être, désormais, la nouvelle limite, dans la montagne.

Comment, partant du point notoire de Fatapare, la « nouvelle limite » pouvait-elle rejoindre le nouveau « Lafayette », coupant de biais, pour ce faire, plusieurs vallées et mettant dans toute cette région un inextricable désordre : c’est ce qui ne fut jamais précisé.

L’établissement ayant, peu après, passé aux mains de nouveaux propriétaires, ceux-ci un soir de grande bagarre, voulurent appeler le « mutoi ». Logiquement, exploitant une patente valable à Mahina ils appelèrent par téléphone le « mutoi » de ce district. Mais celui-ci refusa d’intervenir, considérant que le nouveau « Lafayette » était établi sur le territoire de Arue.

Cette décision du « mutoi » de Mahina fut sans appel et dans toutes les années qui suivirent, ce fut le « mutoi » d’Arue qui assura le service d’ordre du « Lafayette » : ceci ne gênait personne.

Il n’en était pas de même pour les propriétaires des terres dans la zone devenue ainsi litigieuse, à savoir la région comprise entre la véritable limite Arue–Mahina, d’une part, et d’autre part, ce que l’on pouvait penser devoir être le tracé de la « nouvelle limite », tracé qui ne fut jamais matérialisé par le cadastre.

C’est ainsi que Mr. Jay, propriétaire de la terre Tipapa, sise au district de Arue (son titre en fait foi) ayant eu à porter plainte à plusieurs reprises, durant ces vingt dernières années, pour des dégâts commis dans ses cultures ou autres dommages, vit à chaque fois les « mutoi » des districts de Mahina et de Arue se renvoyer la cause en arguant de leur incompétence : la mesure prise arbitrairement par Mr. Souiry avait fait apparaître entre les deux districts une sorte de « no man’s land ».

La pierre Faa Vavau

On le vit encore tout récemment, au scrutin du référendum : Mr. Jay, qui habite sa terre depuis 1940, se présenta pour voter à la chefferie de Mahina, il s’y entendit répondre qu’il ne figurait pas sur la liste électorale de ce district : « Votre terre est plutôt à Arue », lui dit le président du conseil de district de Mahina : « C’est bien mon avis », répondit Mr. Jay et il s’en fut, tout réconforté vers la chefferie d’Arue. Mais là une nouvelle déception l’attendait : la présidente du conseil de ce district ignorait légalement, l’existence d’un de ses plus vieux résidents qui se trouvait coupé de la chefferie par la « nouvelle limite Souiry ».

Documents en main, Mr. Jay s’en fut incontinent exposer ses mésaventures au juge d’instruction qui assurait la permanence au Palais de justice et obtint un jugement l’inscrivant, comme il se devait, sur la liste électorale d’Arue.
Le but de la présente note est d’éclairer l’opinion des services compétents, en vue d’obtenir que la seule et véritable limite d’Arue-Mahina soit confirmée, afin que cesse définitivement la confusion dont souffrant les propriétaires des terres voisines, confusion jetée par Mr. Souiry, dans un but d’avantage étroitement personnel et qui aujourd’hui se trouve sans objet.

La vraie limite des districts Arue-Mahina et matérialisée avec précision par des bornes de district connues de tous et encore en place.
La borne terminale, sur le plateau de Taharaa, au lieu dit Raiamanu, est même classée dans la nomenclature de l’archéologue Kennet Emory (« Stones Remains ») et son nom est « Faa Vavau », elle se trouve sur le bord de l’ancienne route du tour de l’île dont les vestiges sont encore apparents au travers de la pointe de Taharaa.
Passant par cette borne terminale, la limite des districts Arue-Mahina, monte vers la colline de Fatapare en délimitant deux propriétaires : Mr. Wilmet à Mahina, d’une part, et Mr. Jay à Arue, d’autre part ; les titres de l’un et l’autre de ces propriétaires se revendiquant de chacun de ces districts et leurs terres étant déjà cadastrées.
Ainsi tout rentrerait dans l’ordre et de nombreuses discussions stériles seraient évitées pour l’avenir.
"

Papeete, le 14 mars 1959

L’administrateur de la France d’Outre-mer, Chef de la circonscription administrative des Iles du Vent

A

Monsieur le Gouverneur, Chef du territoire de la Polynésie française, Président du Conseil de gouvernement


J’ai l’honneur de vous adresser, ci-joint, une étude en date du 15 janvier 1959 émanant de M. Jay, propriétaire à Arue, ayant pour objet la question de la limite de ce district et de celui de Mahina. Cette question, qui n’est certainement pas d’une importance capitale, mérite cependant d’être tranchée définitivement, car elle peut avoir des répercussions sur les plans électoraux, cadastraux, postaux, etc

L’étude de M. Jay, au sujet de laquelle j’ai eu, depuis le 15 janvier, date de son envoi, la possibilité de me documenter, paraît très exacte :

Le nommé Souiry, qui tenait un cabaret du côté Mahina de la côte du Taharaa, le transporta au pied du versant Arue – Là où se trouve l’actuel Lafayette – ce qui rendait son accès plus facile. D’après la réglementation en vigueur, il était difficile d’obtenir unenouvelle licence pour le district d’Arue. Aussi, pour faciliter le transfert du cabaret Souiry sur Arue, l’intéressé réussit à faire tenir comme faisant partie du district de Mahina, l’emplacement où il réinstallait son établissement.

Ce déplacement irrégulier des limites des deux districts s’est trouvé, de fait, progressivement entériné sur le plan administratif par le service des Douanes, l’intéressé continuant à payer sa patente au titre de Mahina quoique se trouvant en fait sur un terrain d’Arue.

On se trouve actuellement devant une confusion des pouvoirs des deux districts sur la bande étroite de terrain qui se trouve au nord de Taharaa. A titre d’exemple, M. Jay a un numéro de téléphone de Mahina, mais se trouve inscrit sur la liste électorale d’Arue.

Je pense, en conséquence, que l’on pourrait fixer définitivement, par les organismes publics, et en particulier pour les chefs de districts et mutoi d’Arue et de Mahina, la délimitation des deux districts qui se trouve réellement – et ceci est logique sur le plan géographique – à la côte de Taharaa où les limites traditionnelles matérialisées par des bornes sont connues de la population.

G. PUJOL

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 26 Octobre 2012 à 15:28 | Lu 2600 fois