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Apprendre le braille en Polynésie, ce n'est pas si évident


Philippe Kerfoun, Anne Claire Sainturat et Katia Domingo posent devant une Perkins et une imprimante braille.
Philippe Kerfoun, Anne Claire Sainturat et Katia Domingo posent devant une Perkins et une imprimante braille.
PAPEETE, le 12 octobre - Etre aveugle ou malvoyant en Polynésie est tout sauf évident. Outre le fait que peu d'infrastructures sont mises en place, la dispersion des atolls est un obstacle supplémentaire pour les élèves et leur apprentissage du braille.

En Polynésie, le handicap visuel existe et touche environ 468 personnes selon l'association Mata Hotu, parmi lesquelles 27 âgées de moins de vingt ans sont scolarisées et suivies par La Cellule de Suivi pour le Handicap Sensoriel (CSHS) de la Direction générale de l'éducation et des enseignements.

"Au niveau de l'éducation il y a pas mal de choses à revoir"
, indique Diego Tetihia, président de l'association Mata Hotu, "il est important que les enfants puissent continuer leurs études", continue-t-il.

Depuis 2008, il n'y a plus de centre qui regroupe tous les enfants de moins de 20 ans ayant un handicap sensoriel. La cellule fonctionne exclusivement avec des professeurs itinérants spécialisés. Anne Claire Sainturat, enseignante spécialisée, apprend le braille aux enfants en se déplaçant d'île en île. Elle est épaulée de Katia Domingo, stagiaire en apprentissage du braille, qui est également enseignante spécialisée.

Chaque enfant reçoit une attention particulière. En effet, "nous ne pouvons pas faire une règle générale, avec le handicap il faut moduler parce que chacun est différent et a des besoins différents", explique l'enseignante.

L'apprentissage du braille s'apprend en fonction de l'enfant. En effet, un enfant né aveugle peut commencer à apprendre le braille assez rapidement, dès l'âge de six ans. En revanche, si l'enfant est atteint d'une maladie évolutive, l'apprentissage du prébraille peut commencer dès que les signes d'évolution de la maladie se concrétisent. Enfin, certains peuvent perdre la vue rapidement et apprendre le braille une fois aveugle. Le problème en Polynésie est que les distances empêchent un suivi constant des élèves et un travail quotidien. Des échanges par Skype se font avec les enfants, ainsi que les visites régulières permettent d'avancer. Cependant, les progrès ne sont pas aussi rapides que si l'accompagnement était direct et quotidien, comme cela peut l'être en métropole.

Par ailleurs, les enfants et adolescents sont en général appuyés par des auxiliaires de vie scolaire qui les suivent et les aident pendant les cours. Anne Claire et sa stagiaire Katia, gèrent à elle deux 27 enfants handicapés visuels de la primaire à l'université sur l'ensemble du territoire de la Polynésie, îles Marquises et Australes comprises.

"Il y a un grand nombre de non-voyants qui n'arrivent pas à obtenir leur baccalauréat, il y a environ cinq ans, nous avons eu nos deux premiers bacheliers au sein de l'association", constate Diego Tetihia.

"Les enfants restent des enfants, ils n'ont pas tous les capacités d'aller jusqu'au baccalauréat, et ce, indépendamment de leur handicap", explique l'enseignante et ajoute : "certains ne sont pas faits pour faire des études, ceux qui le peuvent, y arrivent très bien en revanche. Cette année, nous avons deux élèves qui sont en deuxième année d'université et une élève qui est entrée en BTS, c'est plutôt encourageant."

"Nous aidons les élèves à arriver au maximum de leurs capacités malgré le handicap"
, indique Philippe Kerfourn, inspecteur de l'éducation nationale avec dans ses missions le suivi des élèves handicapés. "Ces dernières années, nous n'avons pas eu d'échecs sur les élèves qui se sont présentés à des épreuves", affirme-t-il.

Selon les deux responsables, il est difficile de créer une norme pour 27 personnes éparpillées sur cinq archipels. Ainsi, les établissements scolaires s'équipent au fur et à mesure quand ils sont confrontés à l'arrivée d'un élève handicapé afin de leur rendre la vie scolaire la plus facile possible. Par ailleurs, il est difficile d'exiger aux établissements de mettre en place des normes qui ne sont même pas respectées dans les bâtiments de l'administration, les parcs et jardins publics.

Katia Domingo : "J'ai commencé en autodidacte"

l'alphabet braille s'apprend en fonction du handicap de l'élève.
l'alphabet braille s'apprend en fonction du handicap de l'élève.
Katia Domingo est professeurs des écoles, elle est déjà spécialisée dans les difficultés d'apprentissage, mais elle a décidé de se surspécialiser et d'apprendre le braille. Le problème est qu'en Polynésie il n'y a pas de formation pour apprendre le braille.

L'association Mata Hotu pourrait former des gens, cependant elle n'a pas de local pour ce qui signifie qu'elle n'a pas d'endroit pour donner des cours, à moins de faire des cours à domicile, mais cela implique une organisation bien trop compliquée.

Ainsi, Katia doit se débrouiller seule. "J'ai débuté seule en autodidacte et ensuite je me suis inscrite à des cours par correspondance avec l'association Haüy, association des aveugles. Jusqu'à présent je suis en parallèle avec ma tutrice des séances de braille, en autonomie je m'exerce à faire des exercices à revoir les leçons et en même temps je suis des cours par correspondance avec l'association en France. Ils m'envoient un livret avec des exercices, je leur renvoie par Audacity, je traduis ma voix, je traduis des textes et j'envoie par écrit les exercices", raconte-elle.

Philippe Kerfourn, inspecteur de l'éducation nationale avec dans ses missions le suivi des élèves handicapés, ajoute :"Ici on fait avec les moyens du bord, on ne peut pas faire autrement. Katia va passer un examen avec une trentaine d'autres stagiaires qui viennent des départements. Ils ont été choisis sur le volet, ils seront motivés et nous nous sommes obligés de faire dans ces conditions-là".

Katia prépare l'agrément métropolitain avec le soutien de l'équipe de l'ASH. "Elle a pris une partie des élèves que je suivais et elle va sur le terrain travailler avec les élèves. Nous échangeons beaucoup. Je l'accompagnais sur le terrain au début, maintenant elle s'y rend seule", explique Anne-Claire Sainturat. "Nous essayons de faire le maximum pour lui faciliter la tâche et faire en sorte qu'elle ait son examen. C'est quand même l'objectif", conclut Philippe Kerfourn.

Katia Domingo serait ainsi la première professeure des écoles polynésienne à obtenir l'agrément pour enseigner et suivre des enfants et jeunes handicapés sensoriels.

Le braille est un système qui utilise des points en relief pour représenter les lettres de l'alphabet. Pour lire, il suffit de glisser délicatement les doigts sur un papier gravé en braille.
Le braille est un système qui utilise des points en relief pour représenter les lettres de l'alphabet. Pour lire, il suffit de glisser délicatement les doigts sur un papier gravé en braille.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Mercredi 12 Octobre 2016 à 17:28 | Lu 1801 fois