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Apis Porinetia, un collectif d'apiculteurs pour protéger et structurer la filière sur le fenua


L’apiculture a de l’avenir en Polynésie, territoire encore indemne des maladies qui déciment les colonies d’abeilles à travers le monde. Plusieurs professionnels se sont regroupés en décembre dernier pour créer l’association Apiculteurs professionnels indépendants et solidaires de Polynésie (Apis Porinetia) pour protéger, développer et structurer la filière en plein essor. Rencontre avec Olivier Vergnet, le vice-président de l’association.


Olivier Vergnet.
Olivier Vergnet.
Pourquoi une association apicole et qui êtes-vous ?
Notre association, créée le 2 décembre 2016, a pour but de regrouper les acteurs professionnels de la filière apicole de Polynésie, suite à la mise en sommeil des structures précédemment existantes. Nous sommes actuellement une vingtaine de professionnels et une dizaine d’amateurs. Rainer Selam en est le président, Tanoa Buillard, Benjamin Declume, et Kalaï Selam composent le bureau. Nos membres sont des apiculteurs connus et respectés. Nous invitons les apiculteurs professionnels à nous rejoindre afin de défendre et représenter notre filière. Notre ambition est de structurer celle-ci, d’organiser et de valoriser notre activité, d’établir un cahier des charges des bonnes pratiques apicoles, de créer une dynamique qualitative, de devenir un interlocuteur privilégié auprès des organismes publics, de développer des partenariats avec les organismes scientifiques. Plusieurs d’entre nous sont formateurs auprès du Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricoles (CFPPA) sous la houlette de Christophe Bernard.

La Polynésie est-elle toujours un paradis pour les abeilles ?
Comme le répètent tous les experts venus depuis 6 ans, Gilles Fert et Antonio Pajuelo, à l’initiative du syndicat des apiculteurs, puis Jérôme Regnault de l’ANERCEA, Karyne Rogers (GNS NZ), "la Polynésie est épargnée par les maladies qui déciment les colonies dans le monde entier, vous avez un véritable Eden que vous devez protéger". Je rappelle ici que le gouvernement en 2011 a interdit toute importation de matériel apicole, miel, cire, gelée, royale, abeilles, etc, afin de conserver à la Polynésie son statut exceptionnel de territoire exempt de maladies. Ensuite en août 2015, pour combler le déficit en miel, un quota annuel d’importation de 20 tonnes de miel ionisé ainsi que les cires ionisées ont été autorisés. Cette protection doit se prolonger surtout pour préserver les îles encore exemptes de loque comme aux Marquises et certaines iles des Tuamotu.

La loque américaine ?
La loque américaine, présente dans certaines îles depuis longtemps est très difficile à éradiquer mais il est possible de la contenir. A condition bien sûr d’avoir un comportement responsable. Il n’y pas de honte à avoir une ruche atteinte. La ruche doit être brûlée. L’Association APIS se veut solidaire de ses adhérents. Chacun s’engage à déclarer les cas de loque et à détruire ce qui doit l’être. Par solidarité les membres compensent les ruches détruites. Cette solidarité s’appliquera aussi en cas de pertes dues aux intempéries. L’action du territoire a été exemplaire à Tubuai . L’ile était complètement infestée par la loque. Aujourd’hui, grâce au professionnalisme des intervenants, le Service du Développement Rural (SDR), le CFPPA, et plusieurs d’entre nous, elle possède un cheptel sain et très productif. Ce qui n’est pas le cas de Tahiti et de Huahine ; pour des raisons de moyens, et malheureusement aussi à cause du comportement individualiste de quelques uns, qui font courir des risques sanitaires majeurs à l’ensemble du pays. Comme disait Ambre Van Cam (mars 2015), vétérinaire au SDR, « l’administration élabore la réglementation, constate les infractions, mais elle n’a pas le pouvoir d’appliquer les sanctions ». Cependant le pays a le pouvoir et le devoir absolu de maintenir les restrictions sur les importations de cire ionisées, afin de protéger les iles qui sont encore exemptes de la loque. Ce qui est à craindre par ailleurs et surtout c’est le Varroa, ainsi que Aethinia tumida, Troplilaelaps clarae et le frelon asiatique.

Et l’importation de reines réclamée par certains ?
"Il est inutile d’importer des reines ou de la semence, il n’y a aucun problème de génétique en Polynésie", paroles des plus grands spécialistes, dont Gilles Fert, Jérôme Regnault. Certes la génétique, localement, permet de sélectionner des abeilles plus douces, plus productives, ayant des capacités sanitaires, non essaimeuses, et l’association s’emploiera à aider les apiculteurs adhérents en ce sens. Mais la réussite n’est pas tant liée à la sélection qu’à la capacité à bien conduire son rucher. Les preuves en sont, les couvains pleins à craquer des adhérents de APIS et ceux mis en place à Tubuai depuis 2014 en remplacement de ceux détruits.

Que pensez-vous de l’engouement pour l’apiculture et des formations proposées ?

L’effort de formation de la part des autorités, voulu pour créer une filière de production, commence à porter ses fruits. Mais il atteint aussi certaines limites. Les candidats sont nombreux mais il reste peu d’élus. Le retour n’est pas satisfaisant. L’apiculture est un vrai métier qui demande beaucoup de TRAVAIL, de patience, d’investissement personnel et financier, d’engouement. Beaucoup de polynésiens, jeunes ou préretraités, à l’idée de gagner leur vie ou de compléter leurs revenus se lancent à corps perdu. Et abandonnent rapidement, déçus, souvent parce qu’ils se retrouvent seuls. L’apiculteur s’apprend, chaque jour, à plusieurs, en partageant des connaissances. Cependant on s’aperçoit qu’en dehors des circuits de formation officiels proposés par le pays, de nombreux apiculteurs indépendants, motivés, réussissent relativement bien. En fait il y a des réglages à opérer pour sélectionner les personnes à former, ne faisons plus de volume, ciblons les personnes vraiment motivées.
Par exemple, comment ne pas être inquiet sur la valeur de formations au rabais par des organismes non agréés, en particulier pour les connaissances sur les pathologies ? Comment ne pas être inquiet de l’abandon dans la nature, par des débutants découragés, de ruches susceptibles de propager des maladies et en particulier la loque américaine?

Qu’est-ce que la Cellule de Défense Sanitaire Apicole ( C.D.S.A.) que vous allez créer ?
La création de la Cellule de Défense Sanitaire Apicole (C.D.S.A) est une mesure majeure du projet Apis Porinetia. Inspirée des G.D.S.A (Groupement de Défense Sanitaire Apicole) de métropole, elle à pour objet de garantir l’intégrité sanitaire des ruchers professionnels de l’association, en assurant une veille et des contrôles réguliers de ces exploitations apicoles. Face au développement constant du nombre de ruches ces dernières années et en l’absence d’organes de contrôle suffisants, les professionnels doivent se doter d’un outil capable de certifier le caractère sain de leurs colonies.
En respectant les préconisations sanitaires internationales en matière de lutte contre les pathogènes divers de l’abeille, en appliquant les mesures préventives et curatives et en sensibilisant les acteurs de la filière, la C.D.S.A contribue à valoriser l’action de ses membres. Notre crainte majeure est l’importation de reine ou d’abeilles porteuses du varroa. Actuellement, tout peut être importé sous le manteau. Certains individus irresponsables, voire criminels s’amusent à importer sciemment, malgré l’interdiction formelle, de la cire de Chine, non ionisée, moins chère, ou bien des reines en provenance de métropole. Les douanes ne sont malheureusement pas dimensionnées pour empêcher toutes les infractions. C’est de la pure inconscience. Nous souhaitons une tolérance "zéro". Et nous agirons en tant que personne morale s’il le faut
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A quels partenariats scientifiques pensez-vous ?
APIS veut développer les partenariats avec les organismes scientifiques pour mieux connaitre les particularismes de l’abeille locale, en particulier avec l’Université de Polynésie. Par exemple l’analyse des miels par un organisme comme le CETAM (Centre d’études techniques apicoles) va dans ce sens. Jusqu’à présent beaucoup d’avis ont été donnés aux politiques décideurs par des particuliers ayant des connaissances ou interprétations personnelles. Le souhait est désormais de s’appuyer sur des explications scientifiques, et des mises en contradiction, par des experts ou professionnels reconnus de l’apiculture ( Cetam , Fert, Anercea, Rogers, etc.).

Un label, pour quoi faire ?
La démarche d’APIS est aussi qualitative, afin de rassurer les consommateurs et de les protéger. Tant de malversations et tromperies sur la qualité des produits de la ruche, miel, gelée royale, « sirops » sont possibles. Nous souhaitons aboutir à l’obtention d’un label pour le miel des membres de l’association afin d’aider le consommateur et de faciliter les exportations. Nous ne craignons pas qu’il y ait trop d’apiculteurs et une surproduction locale car la demande internationale en produits sains existe et va s’amplifier. Tant que la Polynésie reste indemne du Varroa, travaillons et protégeons nous.
APIS veut rester indépendante des politiques ou ingérences commerciales ou autres. Sa démarche est collaborative, entre les scientifiques, les politiques, les apiculteurs professionnels et amateurs, afin de structurer et de protéger cette filière naissante qui peine à s’organiser.


Rédigé par Propos recueillis par Eric Belleil le Jeudi 23 Mars 2017 à 07:11 | Lu 5362 fois