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Amiante : nous vivons peut-être le début d’une crise sanitaire


L'hôpital abandonné de Mamao serait rempli d'amiante.
L'hôpital abandonné de Mamao serait rempli d'amiante.
PAPEETE, le 22 septembre 2014 - L’utilisation intensive d’amiante dans la construction polynésienne dans les années 60 à 90 ne va faire ressentir ses effets cancérigènes qu’aujourd’hui. Heureusement, désormais les pouvoir publics ont pris conscience du problème et des procédures strictes ont été mises en place pour protéger le public. Il reste pourtant encore des progrès à faire.


Combien de Polynésiens vont-ils être malades de l’amiante ? Cette fibre minérale naturelle est un poison inodore, invisible et sans aucun goût, qui se cache dans la poussière des travaux. Une exposition provoque un risque de maladies pulmonaires irréversibles : asbestose, mésothéliome et divers autres cancers. Le pire, c’est que ces maladies ne se développent que plusieurs dizaines d’années après une exposition au minéral. Hors, ce sont des années 60 aux années 90 que l’amiante a été le plus utilisé dans les constructions polynésiennes et dans le monde. Nous allons donc peut-être assister à la déclaration d’une grande épidémie de maladies dues à l’amiante, car tous les ouvriers du bâtiment travaillant à cette époque ont pu être exposés.

En France, d'ici 2050 ce sont 68 000 à 100 000 personnes qui pourraient mourir de l'amiante alerte l'Institut de veille sanitaire (INVS). "Depuis 1996, tous les bâtiments font l'objet d'une réglementation selon laquelle dès que le niveau dépasse les 5 fibres par litre d'air, des travaux de désamiantage ou de confinement doivent être entrepris" écrit le journal Le Monde. A Tahiti, rien de tel.

Mais d'abord un peu d'histoire. En Polynésie, cette crise de santé publique en devenir est une conséquence indirecte du CEP : alors que les essais nucléaires permettent le développement à marche forcée de la Polynésie, l’argent pour les grands travaux afflue dès 1962. À toute vitesse, le Port, les hôpitaux et nombre de bâtiments publics sont construits. Et la matière magique de l’époque était l’amiante : une fois cette fibre injectée dans de la colle, de la peinture, du mastique ou même des plastiques, elle lui confère une résistance peu commune à la chaleur, à l’usure et aux chocs. Les dalles de revêtement de sol (type Gerflex) amiantées étaient ainsi 10 fois plus durables que les dalles normales…

15 des 20 bâtiments diagnostiqués depuis 2012 étaient amiantés

Antoine Baillat est peut-être le meilleur expert du Territoire concernant l’amiante. Il est encadrant technique pour les entreprises de désamiantage et formateur pour le danger amiante. Si de nombreux malades pourraient se déclarer dans les années qui viennent, le problème est pour lui aujourd’hui sous contrôle : « il ne faut pas avoir peur, des gens sérieux prennent en compte le problème, des gens formés s’en occupent. C’est l’ignorance qui est dangereuse. » Selon lui, « les gens qui vivent et travaillent dans un bâtiment amianté ne risquent rien tant qu’ils n’agressent pas le produit amianté, par exemple en perçant un mur ou en cassant du carrelage contaminé. »

Quand il a commencé à se spécialiser dans le domaine, en 2009, la Polynésie venait d’interdire l’importation et l’utilisation de l’amiante. Depuis, les pouvoirs publics et la CPS ont pris la mesure du problème et ont légiféré pour interdire l’importation du matériau et former les professionnels du bâtiment à se protéger et à protéger le public des effets cancérigène de l’amiante.

Il a surtout fallu créer une filière de désamiantage. « Ici on ne peut pas gagner du terrain sur la mer ou la montagne. Pour faire du neuf, il faut casser du vieux, mais les vieux bâtiments ont parfois beaucoup d’amiante. Par exemple, l’ancien hôpital Jean-Prince détruit en 2012 était plein d’amiante, et ce sera le même problème pour Mamao. Heureusement, les textes imposent aujourd’hui qu’avant de détruire ou rénover un édifice, il faut procéder à un repérage amiante par des laboratoires agréés et le faire retirer par des entreprises certifiées. »

Justement, Antoine Baillat a fait faire une vingtaine de diagnostiques depuis qu’ils sont obligatoires, sur tous types de bâtiments. « Nous avons une quinzaine de cas, mais pas toujours des cas graves. Au fur et à mesure des travaux de rénovation, il arrive que dans la même pièce on trouve des dalles amiantées et d’autres qui semblent identiques mais qui ne sont pas contaminées. »

« Un bébé qui respire de l’amiante risque un cancer quand il aura 30 ou 35 ans »

Si l’expert refuse d’alimenter la psychose, il insiste sur l’urgence de former plus de professionnels et de réaliser un état des lieux de tous les bâtiments Polynésiens construits avant 2009, quand l’importation d’amiante a enfin été interdite. « Le ministère de la Santé doit sortir des textes en s’inspirant du code de la Santé Publique métropolitain pour imposer ces diagnostiques amiantes. »

Il faut surtout que, sans céder à la panique, les gens prennent conscience du problème malgré ses effets très différés : « Il est important qu’il y ait une grande information du public car plus on est jeune, plus le risque est grand. Un bébé qui respire de l’amiante risque un cancer quand il aura 30 ou 35 ans. Les habitations privées et les écoles sont aussi touchées. »

Le désamiantage peut coûter plus cher que le bâtiment neuf

Une source dans une entreprise de désamiantage polynésienne nous confie que le coût du traitement d’un bâtiment qui coûterait 20 millions Fcfp à détruire peut varier « de 500 000 Fcfp enlever quelques dalles de sol, des couches de peinture ou une cloison, jusqu’à 50 millions Fcfp ou plus si le traitement inclut toutes les cloisons, dalles de sol, faux-plafonds, l’amiante-ciment des toitures (ces plaques grises de type Fibrociment), les peintures… Ce qui coûte cher c’est le retrait du matériau avec des procédures très strictes, puis l’exportation et le traitement des déchets en Nouvelle Zélande ou en métropole. »

Pour illustrer comment ces coûts peuvent exploser, il cite le fameux exemple parisien de la Tour Montparnasse, dont le désamiantage coutera plus cher que le coût de construction de la tour elle-même…



La fausse alerte du bâtiment Donald

L’immeuble Donald (où est situé le magasin Marie Ah You) avait été sous les feux des projecteurs après qu’un diagnostic par une entreprise non accréditée y ait trouvé de l’amiante. En réalité, des dalles de Gerflex qui semblaient identiques à celles trouvées à Jean-Prince avaient été repérées… Mais une nouvelle expertise par une société accréditée, qui a prélevé de nouveaux échantillons aux mêmes endroits que son prédécesseur et les a envoyé pour analyse à un laboratoire parisien indépendant, a déterminé que le bâtiment était sain.
Cette fausse alerte causée par des pseudo-professionnels non formés avait tout de même conduit à évacuer les locaux de la direction des affaires sociales en aout 2012… Une liste des professionnels accrédités peut être consultée sur le site Internet de la direction du Travail : servicedutravail.gov.pf.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 23 Septembre 2014 à 08:20 | Lu 3233 fois