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Affaire Sofipac : 7 ans ferme, mandat de dépôt et 100 millions d'amende requis contre William Bernier


Yolande Wong Lam et William Bernier, en bas des marches du palais de justice, viennent d'entendre les réquisitions du parquet à leur égard.
Yolande Wong Lam et William Bernier, en bas des marches du palais de justice, viennent d'entendre les réquisitions du parquet à leur égard.
PAPEETE, le 15 octobre 2015 - Les réquisitions du parquet sont tombées, ce jeudi, dans la pharaonique affaire d'escroquerie à la défiscalisation Sofipac. Si le représentant du ministère public n'a pas caché les difficultés qui s'annoncent pour l'Etat et la Polynésie française, parties civiles au procès, à recouvrer les centaines de millions de francs de préjudice fiscal "évaporés" dans cette fraude à 3,8 milliards, il a pour sa part pris de lourdes réquisitions d'amendes et de prison ferme contre les principaux acteurs du dossier.


Une peine de 7 ans de prison ferme, avec mandat de dépôt, et 100 millions de francs d'amende a été demandée par le ministère public à l'encontre de William Bernier, ancien patron de ce cabinet de défiscalisation basé à Tahiti à la fin des années 2000 et chef d'orchestre désigné de cette escroquerie portant sur plus de 3,8 milliards de francs. William Bernier est également poursuivi pour blanchiment d'argent. Il n'est pas réapparu au palais de justice pour écouter les plaidoiries des avocats de la défense.

5 ans de prison ferme, avec mandat de dépôt également, et 50 millions de francs d'amende ont été requis contre Yolande Wong Lam, la principale apporteuse d'affaire de la Sofipac. Elle avait monté des centaines de dossiers bidons après avoir démarché des dizaines d'éleveurs, petits producteurs de vanille et autre gérants de pension de famille, profitant notamment du carnet d'adresse de Ruben Amaru.

A ce titre, l'ancien vice-président de la chambre d'agriculture, qui a lui aussi participé au montage de quelques dossiers, encourt 8 mois de prison avec sursis et 1 million de francs d'amende. Le parquet a jugé l'homme de bonne foi pendant l'enquête quand il a avoué ne pas comprendre grand-chose à ce qu'il faisait ou à ce qu'on lui demandait de faire, mais a estimé que ses fonctions lui imposait "un peu plus de vigilance".

295 millions d'amende en peines cumulées

La fille de Yolande Wong Lam, Graziella Wong Lam, risque quant à elle 1 an de prison avec sursis et 30 millions de francs d'amende si le tribunal venait à suivre les propositions du ministère public pour avoir capté sur son compte en banque l'argent des commissions prélevé par sa mère.

Joël Marama, prévenu entre autre pour avoir maquillé du matériel d'occasion en matériel neuf afin de le faire entrer dans le cadre des dispositions prévues par la loi Girardin risque lui aussi 30 millions de francs d'amende, et 18 mois de prison ferme.

40 millions de francs d'amende et 3 ans de prison ferme ont par ailleurs été requis contre Franck Tehaamatai, autre apporteur d'affaire central du dossier, pour sa participation active à l'escroquerie, notamment dans le secteur de la perliculture ou sa responsabilité est engagée dans près de 80 dossiers.

Le parquet qui a enfin requis 30 millions de francs d'amende et 3 ans de prison ferme avec mandat d'arrêt -il était absent à l'audience- contre Walter Hugon pour sa participation au montage des dossiers frauduleux. Des peines comprises entre 6 et 12 mois de prison avec sursis assorties de 1 à 5 millions de francs d'amende ont été requises contre les seconds couteaux de l'affaire. La quasi totalité de ces réquisitions s'accompagnent d'une interdiction de gérer pendant une période de cinq ans pour les intéressés.

Pour le parquet, l'escroquerie en bande organisée est caractérisée

Alors que l'ensemble des prévenus s'est appliqué depuis l'ouverture des débats, lundi, à placer le dossier sur le terrain de l'incompétence ou de la négligence, tout en morcelant l'accusation en se rejetant les responsabilités les uns sur les autres, le substitut du procureur Aurélien Buffart a au contraire demandé au tribunal que soit retenue la circonstance aggravante d'escroquerie en bande organisée.

"Tous les critères de la loi Girardin ont été bafoués dans les contrats proposés par la Sofipac : il n'y a eu aucun investissement productif, zéro, aucun bien neuf n'a été acheté, aucun emploi n'a été créé. C'est une somme qui, dans un monde idéal, aurait du être un transfert de fonds frais de l'Etat vers la Polynésie française", a asséné le représentant du ministère public, qui ne se fait par ailleurs que peu d'illusion sur la capacité de l'Etat et de la Polynésie française à recouvrer les centaines de millions de francs de recettes fiscales qui se sont ainsi "évaporés" dans cette affaire : "Monsieur Bernier, qui rappelons-le est un banquier, n'a pas mis l'argent à la poste de Papeete. Il a un compte au Crédit Agricole de Genève en Suisse, l'argent est ensuite passé dans des assurances-vie, il y a eu l'achat d'un appartement dans le XVIe arrondissement de Paris revendu à perte, un classique dans le blanchiment d'argent sale, et cette maison à Aix-en-Provence en SCI au nom de sa femme qui n'a pourtant jamais travaillé de sa vie".

Des petits producteurs mal informés et abusés servent de prête-noms

Profitant de l'absence de contrôle et de nécessité d'agrément de la Direction générale des impôts pour tout dossier de défiscalisation inférieur à 35 millions de francs pacifiques, la Sofipac avait monté et présenté entre 2005 et 2010 plus de 300 dossiers frauduleux à un cabinet de défiscalisation métropolitain qui les avaient validés sans trop les vérifier. L'affaire avait éclaté à la suite d'un contrôle fiscal du Pays dans les comptes de la Sofipac, en 2009, et la découverte de fausses factures par centaines.

En bout de chaîne, les petits exploitants du secteur primaire démarchés par les apporteurs d'affaire de la Sofipac avaient été abusés, entre incompréhension profonde et sincère du dispositif Girardin, présenté ostensiblement par les prévenus comme une simple subvention "venant de France" à ne pas laisser passer, et un besoin d'argent "en cette période de crise naissante" a rappelé le parquet, citant l'un d'eux entendu au cours de l'enquête : "Pour moi c'était de l'argent tombé du ciel".

Ces derniers servaient in fine de prête-noms pour donner un semblant de crédibilité aux dossiers présentés en métropole. Au cours de l'enquête, la quasi totalité de ces petits exploitants ont découvert, entre autres péripéties, que la Sofipac passait commande en leur nom de matériels qu'ils n'avaient jamais demandé, l'objectif étant pour le cabinet-conseil d'atteindre coûte que coûte le seuil des 35 millions de francs afin d'encaisser les commissions y afférentes.

La Sofipac captait en outre directement sur ses comptes les transferts de fonds de la métropole au titre de la défiscalisation, puis les dispatchaient aux ayants droit amputés de l'essentiel du montant déclaré aux investisseurs mais dissimulé aux bénéficiaires.

"Cette affaire n'est pas le procès de la loi Girardin" a tenu toutefois à souligner Me Bourion, représentant l'agent judiciaire de l'Etat, partie civile. "C'est une loi qui fonctionne très bien dans l'intérêt des collectivités d'outre-mer quand elle est bien appliquée. Mais si cet instrument tombe entre les mains de gens pas très sérieux, cela fait des dégâts considérables. Ici, plus les millions tombaient, plus on les ramassaient, et on se rend compte qu'il ne reste rien de ces millions. Monsieur Bernier et les autres savaient ce qu'ils faisaient".

Le tribunal a prévu de mettre sa décision en délibéré et le jugement sera rendu dans plusieurs semaines.

Rédigé par Raphaël Pierre le Jeudi 15 Octobre 2015 à 15:27 | Lu 4595 fois