Tahiti Infos

Affaire Davet-Lhomme : diffamation contre "dictature du silence" au tribunal de Papeete


Me François Saint-Pierre et Me Quinquis, mardi matin dans la salle des pas perdus du Palais de justice de Papeete
Me François Saint-Pierre et Me Quinquis, mardi matin dans la salle des pas perdus du Palais de justice de Papeete
PAPEETE, 17 mars 2015 - Le tribunal correctionnel de Papeete s'est saisi ce mardi d’une procédure en diffamation engagée par Gaston Flosse, en 2013, à l’encontre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux journalistes du Monde. Le jugement est mis en délibéré et sera rendu le 19 mai prochain.

Une plainte avait été déposée par Gaston Flosse peu après la publication, sur le site lemonde.fr, d’une enquête évoquant des éléments nouveaux dans l'information judiciaire ouverte pour assassinat et toujours en cours à Papeete 17 ans après la disparition inexpliquée du journaliste Jean-Pascal Couraud, dit JPK.

Le 13 mars 2013, les journalistes du Monde, envoyés spéciaux en Polynésie française, signaient L’enquête sur la mort d’un opposant à Gaston Flosse relancée.

On était à six semaines du 1er tour des élections Territoriales ; Gaston Flosse était candidat à la tête de la liste Tahoera’a. Et déjà, les deux enquêteurs du Monde, auteur du best-seller "Sarko m’a tuer" avaient annoncé la sortie pour le 20 mars du livre "L’homme qui voulut être roi", une enquête au vitriol sur le système Flosse des année 90.

Le leader autonomiste polynésien a déposé plainte peu après en dénonçant des "allégations et imputations de faits portant atteinte à l’honneur et à la considération".

Renvoyé une première fois en octobre dernier, l’instruction à l'audience du procès en diffamation de Gérard Davet et Fabrice Lhomme avait fait l’objet en janvier d’un nouveau renvoi et a finalement été évoquée mardi matin. Le jugement sera rendu le 19 mai. En attendant, le prétoire de Papeete a servi mardi d’écrin à une joute verbale entre Me François Quinquis, pour le compte de Gaston Flosse et Me François Saint-Pierre pour le compte des collaborateurs du Monde. Il a été question de la liberté de la presse.

"La personne qui est ciblée au travers de cet article est bien M. Gaston Flosse", défend Me Quinquis pour qui la diffamation est constituée dans la mesure où d'une manière générale, la publication vise directement l'homme politique en faisant mine de rendre compte de l'avancement d'une procédure d'instruction. Il s'explique : "D’abord, le titre évoque le seul Gaston Flosse, ensuite c’est celui-ci qui est pris en photo. Enfin, parce que – passez-moi l’expression – il n’y en a que pour lui dans ce petit article. De surcroît, on relaie un propos de M. Sandy Guilloux, selon lequel si M. Guilloux fils n’avait pas accepté de faire ce qu’il a fait, comme Gaston Flosse était au pouvoir, il avait peur des représailles. En soi seul tout cela est diffamatoire, sans avoir besoin d’aller plus loin. J’ajoute, pour rebondir sur l’argument phare de mon contradicteur, consistant à rappeler que la liberté de la presse est une liberté constitutionnelle : Rassurez-vous, mon cher confrère, bien évidemment que nous y sommes attachés, que ce soit M. Flosse ou moi-même. Par contre, nous sommes aussi attachés à veiller à ce que la liberté de la presse ne dégénère pas en abus. Et c’est précisément parce qu’on ne souhaite pas confondre liberté de la presse et liberté de salir que nous avons déposé plainte à l’encontre de ces journalistes qui n’en sont pas à leur coup d’essai. C’est vrai que nous avons été patient. C’est vrai que nous n’avons pas réagi lors des premières attaques scélérates dont nous fûmes l’objet ; mais il faut bien réagir un jour : tout a un commencement".

"dictature du silence"

Me Saint-Pierre s’est quant à lui fait un devoir de rappeler la fonction du journalisme et le principe de la liberté de la presse en reprochant à Gaston Flosse de dénoncer une diffamation sans évoquer aucun "fait précis" : "Le monde a enquêté pendant des années, avec le plus grand sérieux, sur Gaston Flosse, ses mandats, la vie publique en Polynésie. Les articles que Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont publié dans le Monde servent l’information du public. Ils n’ont pas d’autre but que d’informer la société de la façon dont fonctionnaient les institutions polynésiennes à l’époque de M. Flosse. Celui-ci a souhaité nous attaquer en diffamation devant le tribunal correctionnel, l’audience a eu lieu et mon message était le suivant : nous ne cesserons jamais de publier des informations importantes, sur les sujets d’intérêt public dont doivent être informés nos concitoyens. C’est le message que je fais passer à M. Flosse et à tous les élus qui pourraient se sentir diffamés un jour par un article critique à leur égard. La liberté de la presse est une liberté qui est supérieure à bien nombre d’autres.
M. Flosse, dans sa plainte, reproche aux journalistes des phrases nombreuses, variées, qui ne contiennent pas l’imputation, comme le veut la loi, d’un fait précis qui porte atteinte à l’honneur ou la considération de la personne. Le fait est que le bâtonnier Quinquis - excellent orateur - nous a expliqué avec brio qu’effectivement, l’article ne reprochait pas à M. Flosse – et c’eut été diffamatoire – d’être le commanditaire de l’assassinat de M. Couraud ; mais que cet article lui reproche dans un amalgame, un ensemble négatif d’informations. Mais lesquelles précisément ? Bien entendu, cet article M. Flosse l’a mal vécu parce qu’il rend compte d’une information judiciaire en cours qui n’est pas à son honneur. Ce que voudrait M. Flosse, c'est que les journalistes n'aient même pas la capacité de publier des informations sur une affaire en cours d'instruction. Il voudrait que l'on vive dans une forme de dictature du silence.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont informé nos concitoyens, tout le monde, de la façon dont les institutions avaient pu fonctionner à une époque en Polynésie et de l’avancée d’une information judiciaire qui porte sur un sujet très important : la disparition, pour l’heure inexpliquée, de M. Couraud. Je crois que c’est un sujet important dont nous devions être informés. Et c’est ce qu’ils ont fait avec courage et responsabilité.
Ces journalistes ont effectivement servi la liberté de la presse, qui est une liberté constitutionnelle et qui a pour but d’informer notre société. Je suis bien certain que le tribunal de Papeete fera droit à mes demandes en relaxant les journalistes
".

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 17 Mars 2015 à 15:16 | Lu 1733 fois