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Accessibilité : le cri du cœur de Rowena Nouveau au président du Pays


Rowena Nouveau a 25 ans et travaille dans la communication.
Rowena Nouveau a 25 ans et travaille dans la communication.
PAPEETE, le 20 février 2017 - La jeune femme a écrit une lettre au président du Pays, Edouard Fritch, pour lui faire part des difficultés à se déplacer des personnes handicapées. Peu de lieux leur sont accessibles en Polynésie française. Rowena Nouveau souhaite que le Pays prenne les choses en main.

"Vos locaux sont-ils accessibles?" Cette question, qui peut paraître bizarre, est désormais un réflexe pour Rowena Nouveau. La jeune femme de 25 ans est en situation de handicap moteur. Née prématurément à six mois de grossesse, elle est atteinte du syndrome de Little.

"J'ai certaine connexions dans le cerveau qui ne se font pas et du coup, mes muscles n'ont pas eu le temps de se former", explique la jolie brune, sans aucun tabou. Rowena Nouveau a toujours connu la vie en fauteuil. Se déplacer ainsi ne représente pas un problème pour elle… à condition que son environnement soit adapté. A Tahiti, c'est là que le bât blesse.

"Le centre-ville de Papeete, particulièrement, n'est pas du tout adapté aux personnes handicapées. L'accessibilité n'y est pas facilité, tout est compliqué", soupire-t-elle. Pour autant, cette femme active ne s'est jamais découragée. Épaulée par sa famille et ses amis, elle a pu mener une vie normale. Quitte à vivre des situations parfois ubuesques.

Un jour, Rowena Nouveau décide de se rendre au cinéma avec ses amies. Pour atteindre les salles de projection, il faut atteindre l'étage. Aucun ascenseur n'est installé. "Je ne voulais pas m'empêcher d'y aller. Il a donc fallu qu'on me porte jusqu'à l'étage et je dois avouer que je ne suis pas très légère… C'est gênant pour moi et pour les gens qui m'ont portée. Et puis, si nous avions eu un accident, cela aurait été de la faute du cinéma."

Armée d'un sourire et de beaucoup d'humour pour affronter le quotidien, Rowena Nouveau ne se décourage jamais. Le 12 février, elle a écrit une lettre au président du Pays, Edouard Fritch, afin de faire bouger les choses. Dans cette missive électronique titrée « L’accessibilité des lieux publics aux Personnes à Mobilité Réduite (PMR), en Polynésie française », la chargée de communication y expose ses doléances.

"Tout cela pour vous demander Monsieur le Président, pourquoi ? "

Il est parfois difficile de descendre du trottoir.
Il est parfois difficile de descendre du trottoir.
"A 25 ans, je ne peux que constater qu’en Polynésie, très peu de lieux publics prennent la peine de respecter les normes d’accessibilité. Cela n’est malheureusement pas une nouvelle problématique de société mais force est de constater que malgré les années, ce sujet ne connaît pas non plus d’avancée majeure", écrit-elle.

La jeune femme suit la lignée de son père, qui a toujours été investi dans la lutte pour l'accessibilité. Elle souhaite à son tour faire passer le message auprès des autorités et surtout, éveiller les consciences. "Ce n'est pas normal que rien ne soit adapté. Nous sommes des citoyens comme les autres après tout !"

Bien qu'un guide de l'accessibilité ait été publié et que des lois aient été votées, Rowena Nouveau ne peut que constater qu'en Polynésie française, la situation est loin d'avoir évolué.

Casser, aplatir, refaire les trottoirs et les accès ou encore installer des ascenseurs sont autant d'aménagements que la Tahitienne souhaite voir se réaliser. "Ce pays je l'aime ! Il faudrait que je puisse m'y déplacer normalement…"

Encore récemment, alors qu'elle se rendait à la médecine du travail, Rowena Nouveau a été très handicapée par un ascenseur en panne. Le médecin l'a auscultée au rez-de-chaussée. Dans sa lettre, elle interroge le président :i[ " […] La plupart des bâtiments publics, la ville, les plages… un vrai parcours du combattant. Tout cela pour vous demander Monsieur le Président, pourquoi ? Qui a décidé que nous (les PMR), nous ne pourrions pas : nous balader en ville, faire du shopping, aller au cinéma, aller à la plage...Profiter de la vie et de notre liberté de mouvement en tant que citoyen ? [...]"]i

Envoyée le 12 février dernier, la lettre de Rowena Nouveau est pour l'heure, toujours sans réponse. "S'il faut s'amuser à faire le tour de l'île pour leur (NDLR aux autorités) dire ce qui ne va pas, je le ferai !"

Patiente et pacifique, dans l'attente, elle réfléchit à la suite de son action. Elle ajoute, en riant : "Je ne vais pas leur courir après pour qu'elles (NDLR : les autorités) me répondent, déjà que je ne peux pas courir…"

*A L'HEURE OÙ NOUS METTIONS SOUS PRESSE LA PRÉSIDENCE N'AVAIT PAS RÉPONDU À NOTRE DEMANDE CONCERNANT LA LETTRE.

"En 16 ans, je n'ai pas vu d'amélioration du côté de l'accessibilité des lieux publics."

Parole à Christope Moretti, kinésithérapeute de Rowena Nouveau et secrétaire général du syndicat des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs de Polynésie française (SMKRPF).

"Je pense que la démarche de Rowena est une bonne chose. De plus, cela tombe bien dans le calendrier car les ateliers techniques de la PSG 2 commencent cette semaine. C'est le bon moment pour montrer la vraie réalité du quotidien des personnes handicapées. Le problème que vit Rowena est multiplié par 10 dans des quartiers difficiles d'accès ou dans des familles qui ont peu de moyens. Les trottoirs de la ville de Papeete sont une erreur ! Certains restaurants ont fait des efforts mais cela reste quand même inaccessible… Les bus ou les trucks sont une erreur pour les personnes en situation de handicap ou celles à mobilité réduite! Les bus sont tellement hauts qu'ils ne peuvent pas y monter. Ce facteur ajouté à d'autres fait que certains sont cloîtrés chez eux. Pour améliorer le quotidien de cette partie de la population, il faudrait que les transports en commun, quand il y en a, soient plus accessibles ; faire respecter la loi; favoriser le retour à l'emploi… En 16 ans, je n'ai pas vu d'amélioration du côté de l'accessibilité des lieux publics. Pourtant, j'ai l'impression qu'il y a pas mal de choses à faire!"

"La connerie n'est pas reconnue comme un handicap, merci de vous garer ailleurs"

Un autre volet de la lutte de Rowena Nouveau concerne les places de parking réservées aux personnes à mobilité réduite (PMR). En centre-ville, c'est la jungle. Peu de places de parking sont disponibles compte tenu d nombre de voitures et de ce fait, certains, se garent parfois n'importe où.

"Beaucoup d'automobilistes qui n'ont pas le macaron prennent les places PMR. C'est une question de civisme en général, je pense que les gens ne se rendent pas compte de ce qu'ils font. Quand il y a eu toute la campagne de communication fait autour de la question, ça a touché le gens mais aujourd'hui, ça ne marche plus. Quand mon père voit ça, il accroche ne feuille sur la voiture de la personne où il est écrit : "La connerie n'est pas reconnue comme un handicap, merci de vous garer ailleurs". C'est très direct et je ne le ferai pas mais il faudrait que cela change!"


Rédigé par Amelie David le Mardi 21 Février 2017 à 05:00 | Lu 14255 fois